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de Québec eurent la pensée d’affecter à ce genre de transport (les navires de trois cents pieds de long qui surpassaient en grandeur tous ceux que la mer avait jamais portés. Dans les années 1824 et 1825, on en construisit deux au village d’Orléans, sur la petite île de ce nom. Ils arrivèrent, non sans peine, jusqu’en Europe. Durant le trajet, on s’aperçut que la mer semblait grossir en raison de la masse qui pesait sur ses flots. Ces colosses donnaient trop de prise à la vague ; l’équipage ne pouvait les manœuvrer qu’avec des peines infinies. L’un périt à l’entrée de la Tamise, l’autre s’échoua comme une baleine près de Gravelines, et il resta prouvé que c’est à force d’habileté, plutôt que par la puissance de ses moyens, que l’homme peut lutter contre l’océan.

Si Québec est la principale place de guerre que les Anglais possèdent dans l’Amérique du Nord, elle est aussi la première ville de commerce du Canada. Sa population s’élève maintenant à plus de trente mille habitans. Deux fois, en 1831 et en 1845, les incendies, — ces grands fléaux des villes américaines, où tant de maisons étaient construites en bois, — l’ont désolée et lui ont fait éprouver des pertes considérables ; mais ces malheurs n’ont pas tardé à être réparés. Aujourd’hui les Anglais ont quelque raison d’appeler Québec the queen of North American cities, la reine de leurs villes de l’Amérique du Nord. Cependant Montréal lui dispute la prééminence ; son commerce maritime est moins actif, parce que peu de navires prennent la peine de remonter le fleuve jusque devant ses quais[1], mais en revanche sa population dépasse d’un quart celle de Québec, et elle exerce sur le pays entier une plus grande influence.

Bien que l’émigration ait amené à Montréal beaucoup d’Anglais, surtout depuis une trentaine d’années, le fond de la population est demeuré français. On y parle notre langue mieux que dans les autres parties du Canada, et le goût des arts ne s’y est point perdu, témoin la belle cathédrale catholique, d’architecture gothique, bâtie aux frais des fidèles et dont l’inauguration eut lieu en 1829. Les maisons sont hautes, larges, construites en grés et couvertes de lames d’étain ou de fer en feuilles ; quand le soleil brille, il en résulte un contraste fatigant pour la vue entre l’éclat scintillant des toitures et la nuance sombre des murailles. Dans les rues, propres, mais assez mal alignées, — la race gauloise, en toutes choses, a horreur de la ligne droite, — on voit surgir de spacieux hôtels qui font penser à nos vieilles villes de parlement. Dans les faubourgs, de vastes jardins entourés de grands murs rappellent les enclos des communautés religieuses ; çà et là même retentit la cloche d’un couvent. Quel calme ! comme cette population paraît tranquille et facile à gouverner !… Prenez garde cependant et

  1. Montréal est à plus de soixante lieues de Québec, et par conséquent à cent lieues au moins de la mer. Devant la ville et au pied même des quais, la profondeur des eaux est encore de cinq mètres.