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cinq mille hommes ; l’arsenal renferme des armes pour cent mille soldats. Ces constructions sont modernes. Le vieux château de Saint-Louis, qui servait de résidence aux gouverneurs, a été détruit, en 1831, par un incendie ; on en a déblayé les ruines, et ce grand espace, converti en esplanade, est devenu le rendez-vous des promeneurs de Québec. De cette terrasse, l’on domine tout le bassin du Saint-Laurent, pressé à droite par une berge escarpée, borné à gauche par une chaîne de petites montagnes arrondies, au pied desquelles se déroule une immense plaine. Dans le port, toutes les flottes de l’Angleterre se rangeraient à l’aise. Pendant la belle saison, des centaines de navires s’y rassemblent ; le chant des matelots retentit tout le jour au fond de cet hémicycle creusé, comme un entonnoir, dans le roc vif, et monte vers la haute ville en joyeuse clameur. Penchez-vous sur cette belle nappe d’eau et étudiez le mouvement de la rade : un trois-mâts s’avance poussé par la brise. Une foule compacte fourmille sur le pont ; il y a là tout un monde : des femmes et des enfans en haillons, des vieillards fatigués, des paysans robustes en culotte courte, en veste de panne. Tout cela débarque ; des meubles, des ustensiles de ménage, des berceaux, des charrues, s’entassent sur le quai. Ce sont des Irlandais qui viennent chercher fortune en Amérique. Ils lèvent les yeux vers les deux caps qui se dressent au-dessus de leurs têtes, et semblent se demander par où ils pénétreront jusqu’aux terres incultes qui les attendent. D’autres navires moins grands traversent le port, et continuent leur route vers Montréal ; pour mieux couper le courant, ils s’amarrent côte à côte, enverguent leurs bonnettes et filent gaiement sur ces eaux calmes, où la tempête ne les surprendra plus. Çà et là mugissent d’énormes steamers aux bannières déployées, véritables hôtels où cent voyageurs mangent à la même table, et dorment dans des cabines séparées. Parmi ces colosses enveloppés de nuages de fumée glisse la pirogue d’écorce de l’Indien, pareille au poisson volant qui fuit devant le cachalot. Les radeaux conduits par les lumberers se déroulent dans leur prodigieuse longueur à travers les files de bâtimens à l’ancre. Une vingtaine de petites voiles, tendues sur des troncs de sapins à peine dégrossis, accélèrent la marche de ces forêts flottantes ; d’immenses avirons, placés en tête et en queue, servent à les diriger. Arrivé près du navire qui l’attend, le radeau s’arrête. On le défait, on le démonte pièce à pièce, et le gros bâtiment absorbe, l’une après l’autre, ces gigantesques poutres que l’équipage range en bon ordre dans la cale.

Les bois de construction, qui constituent la principale richesse du Canada et du Nouveau-Brunswick, exigent l’emploi de navires d’un fort tonnage ; il y a des pièces de mâture d’une longueur extraordinaire dans ces forêts où les arbres résineux, — le sapin, le cèdre, le pin rouge, — s’élèvent à la hauteur de cent vingt pieds au moins. Des négocians