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les vives couleurs de sa carnation ; son teint a pris une nuance de gris foncé, ses cheveux noirs tombent à plat sur ses tempes comme ceux de l’Indien. Vous ne reconnaissez point en lui le type européen, encore moins le type gaulois. Abordez-le, et vous trouvez un homme aux formes polies, au caractère doux, courtois, affable, un peu timide même. Sir James Alexander, qui semble avoir étudié avec intérêt les French colonists, fait en maints endroits de son livre sur l’Acadie l’éloge de ces braves colons. « Ce sont, dit-il quelque part, des gens contens de leur sort et d’un commerce agréable, quand ils ne sont point exaltés par de turbulens démagogues (when restless démagogues do mot excite them). » Les démagogues dont parle l’écrivain anglais n’ont jamais hanté les clubs de Paris aux mauvais jours de 1848 ; ce sont tout simplement les avocats exaltés de Québec et de Montréal et leurs alliés, les annexionistes des États-Unis, qui ont horreur de tout gouvernement monarchique, et cherchent à réveiller les rancunes des habitans français contre le joug britannique.

À mesure qu’on remonte vers Québec, le Saint-Laurent se resserre ; les hautes collines qui le bordent, vues de plus près, paraissent des montagnes. Il y a une harmonie parfaite entre l’élévation des rives du fleuve, sa largeur et la profondeur de ses eaux. En avançant toujours, on remarque deux rochers qui se rapprochent, — cap Diamant et Point-Levi, — et forment un demi-cercle elliptique au fond duquel le Saint-Laurent semble se perdre. Voilà un de ces points désignés par la nature pour être l’emplacement d’une grande ville, le premier depuis la mer où une forteresse puisse dominer le cours du grand fleuve ; là s’élève Québec. Les Français, on le sait, ont toujours choisi avec un tact infini la position de leurs établissemens d’outre-mer ; que n’ont-ils su les garder !… Québec a cela de charmant, que sa vue rappelle les vieilles cités d’Europe plantées, comme des nids d’aigles, sur des rocs escarpés, souvenir qu’on ne trouve point ailleurs en Amérique. Samuel Champlain, ingénieur-géographe du roi de France, en jeta les fondemens l’an 1608. La ville basse ne renferme que des quais de bois, des magasins, des ship’s stores, des chantiers et des tavernes : c’est le quartier marin. Il faut gravir le cap Diamant, élevé de trois cents pieds au-dessus du fleuve, pour trouver la vraie ville française et anglaise, catholique et protestante, la cité bourgeoise et la place de guerre. Que de monumens divers, qui diffèrent par leur architecture et leur destination : deux cathédrales, l’une catholique romaine, l’autre anglicane, des chapelles pour les sectaires, un hôtel-Dieu et un hôpital militaire, un couvent d’ursulines et un couvent de jésuites transformé en caserne, une bourse, une banque, un théâtre, un séminaire, une prison, et, par-dessus cette masse d’édifices qui répondent aux besoins et aux croyances de deux sociétés juxta-posées, le fort, ultima ratio ! Les casemates de la citadelle, déclarée imprenable, peuvent abriter