Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/995

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

foyer se transporte dehors, sous un hangar, la chaleur devenant si forte dans cette saison, qu’on a bien plus besoin d’air que de feu. La belle saison est, pour les Canadiens des bords du Saint-Laurent, celle des grands et durs travaux ; ils n’ont que six mois pour labourer les terres et faire la récolte. En général, leurs exploitations ne sont pas des fermes-modèles ; cependant, depuis un demi-siècle, ils ont fait des progrès en agronomie ; on ne les voit plus, comme autrefois, jeter dans le Saint-Laurent le fumier de leurs étables ; ils ont appris à améliorer leurs terres au moyen des engrais. Deux causes contribuèrent long-temps à les maintenir dans une ignorance qui contrastait avec l’habileté des nouveaux colons : la richesse du sol d’abord. -car on cite des champs, sur le bord du fleuve, qui ont produit vingt récoltes consécutives sans s’épuiser, — et le régime féodal sous lequel leurs ancêtres vivaient au jour le jour. Ils tenaient leurs terres de seigneurs à qui le gouvernement de Québec en avait fait la cession ; la rente qu’ils payaient à titre de redevance consistait en quelque chose comme une douzaine de francs, — deux pièces de six livres, — un ou deux boisseaux de farine et une paire de poulets. Était-il besoin qu’ils travaillassent beaucoup pour acquitter le prix de leurs fermes ? Plus tard, quand cet ordre de choses cessa d’exister, le père de famille prit l’habitude de partager son héritage avec ses enfans à mesure qu’ils se mariaient ; ceux-ci restaient donc réunis sur un petit espace, suivant avec une aveugle routine les erremens de leurs devanciers et s’appauvrissant de plus en plus.

Depuis novembre jusqu’en mai, le paysan du comté de la Rivière-du-Loup doit renoncer à manier la bêche. Retiré dans sa maison de bois, dont il est à la fois l’architecte et le constructeur, il tisse les grossières étoffes de laine qui l’abritent contre le froid, ou bien, s’exerçant au métier de charpentier et de charron, il va dans la forêt abattre les arbres dont il tirera les pièces de bois qu’il lui faut pour réparer son toit, remettre une quille à son canot ou une jante à la roue de sa charrette. L’ennui pourrait le saisir durant les longues soirées de décembre ; il va rendre visite à ses voisins et les convie autour du grand poêle : les pipes s’allument, et l’on cause. Quand un nombre suffisant d’amis se trouve rassemblé dans une de ces cases hospitalières cachées sous les sapins et enveloppées de neiges, les femmes cessent leurs travaux d’aiguille. Le violon, — l’instrument favori des créoles, — résonne tout à coup, et la danse commence. Les paysannes canadiennes portent le court jupon de nos campagnes, aux couleurs voyantes, la robe d’indienne à fleurs, le large chapeau de paille ; le froid les contraint parfois à endosser le gros paletot de laine grise qui est le vêtement des hommes. Ceux-ci n’ont de remarquable que le bonnet de laine, rouge ou bleu, à touffe épaisse et tombante, dont ils se coiffent en toute saison. Un long séjour en Amérique a fait perdre au créole canadien