Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/991

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un shelling en s’écriant : Voilà trois ans que je n’avais vu la figure de sa majesté sur une pièce de monnaie ! Il y a là des villages que jamais encore, avant 1844, un gouverneur n’avait visités. Les habitans de ces petites communautés, appartenant pour la plupart à la secte des baptistes, se gouvernent eux-mêmes : ils n’ont ni église ni chapelle dans plusieurs localités ; mais, le dimanche, ils se réunissent pour sanctifier le sabbath, ici sous la direction des vieillards, là sous la conduite des femmes, qui sans doute ont plus que les hommes, le temps de s’adonner à la lecture. Des moulins à scier le bois, placés sur des barrages qui interrompent complètement le cours des petites rivières, sont jusqu’ici les seuls établissemens industriels qu’on rencontre dans l’intérieur du Nouveau-Brunswick.

Au milieu de cette population clair-semée de puritains et d’émigrans, vivent les Acadiens français ; ils occupent de petits villages situés sur les bords du fleuve Saint-John, entre les petites et les grandes chutes, sur les frontières de l’état américain du Maine. Ce n’est point volontairement qu’ils sont venus s’établir là, si loin de la baie de Fundy, dont leurs ancêtres habitaient le littoral. Après que le sort des armes eut livré leur pays à l’Angleterre, mais avant que le traité de 1783 en eût ratifié la cession de la part de la France, les Acadiens attaquèrent à main armée les établissemens anglais ; aidés des Indiens leurs alliés, ils dévastaient et brûlaient les fermes et les maisons qui appartenaient aux nouveaux occupans ; pour eux, la guerre durait encore. Bien que réduits à eux-mêmes, ils se défendaient, comme autrefois les indigènes avaient essayé de résister à l’invasion de la race blanche. Quand la Grande-Bretagne entra définitivement en possession du Canada et des provinces adjacentes, elle résolut de se débarrasser de ces voisins importuns ; les Canadiens des environs de la ville Saint-Jean furent refoulés jusqu’aux lieux où on les voit aujourd’hui. Nous avons entendu nous-même, en Acadie, de vieux Français raconter les détails de cette transportation. « Nos pères, disaient-ils, ayant été convoqués dans leurs églises, entendirent lire un ordre du gouvernement anglais qui les déclarait prisonniers, qui prononçait la confiscation de leurs biens, de leurs bestiaux, de leurs pêcheries, et les condamnait à être transportés dans d’autres provinces, selon le bon plaisir du monarque. » Ils sont restés là où l’ordonnance royale les a internés. Étrangers au milieu de leur patrie conquise, oubliés de la civilisation qui les a dépassés, ils sentent très bien leur infériorité ; mais en même temps ils gardent au cœur quelque rancune contre ceux qui les ont opprimés autrefois. Soixante-sept années de conquête n’ont pu les réconcilier entièrement avec le gouvernement de la joyeuse Angleterre, et les démagogues de l’état du Maine le savent bien. Après tout, ce ne sont rien moins que des conspirateurs ; la défiance naturelle aux gens