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Amérique, par des latitudes égales et au mois de mai, toutes les horreurs de l’hiver. Cependant les glaces disparaissent et la pêche commence. Quinze cents bâtimens venus des ports des États-Unis se répandent sur les bancs ; trois cents autres portant pavillon français stationnent autour de ces hauts-fonds ou dans les havres de nos établissemens de Saint-Pierre et de Miquelon. L’Angleterre compte pour sa part près de mille voiles, en y joignant les navires sortis de ses colonies de la Nouvelle-Écosse et du Canada ; c’est qu’elle est maîtresse de tout le littoral et que toutes les terres voisines lui appartiennent. Ce sont là de grands avantages, convoités depuis long-temps par les États-Unis. Comme nous passions sur le grand banc à l’époque de la pêche, un Américain qui se trouvait à bord avec nous s’écria : Ici commence notre pays ! Un temps viendra où aucune nation ne pourra tirer ici un coup de canon sans notre bon plaisir !

En attendant ce jour fatal, qu’elle recule par tous les moyens possibles, la Grande-Bretagne emploie à la pêche de la morue, à Terre-Neuve et au large, environ quinze mille marins ; elle en exporte, en poisson et en huile, pour une valeur de 500,000 livres sterling. Qu’on y ajoute ce que nous avons dit plus haut des pêcheries du Labrador et le produit de celles qui sont établies dans les îles adjacentes, on arrivera, pour le total de l’exportation, au chiffre de 900,000 livres sterling, et on pourra évaluer à vingt mille[1] le nombre des sujets anglais occupés aux travaux de la pêche. De plus, l’Angleterre possède l’île de Terre-Neuve, presque aussi étendue que l’Islande. La capitale, Saint-John, ville bien bâtie, fortifiée avec soin, munie d’un bon port, renferme une population fixe qui ne s’élève pas, en hiver, à moins de quinze mille ames. L’intérieur est assez bien cultivé, et l’on peut regarder l’île en elle-même comme une petite colonie[2] ; mais ce qui lui donne une importance extrême, outre l’avantage qu’elle a d’être le centre des pêcheries, c’est sa position à l’entrée du golfe Saint-Laurent. Elle bloque en quelque sorte l’embouchure du : fleuve, et la nation qui y fait flotter son pavillon tient entre ses mains les clés du Canada. Au nord, elle domine le détroit de Belle-Ile ; au sud, elle s’allonge vers l’île du Cap-Breton, qui s’avance en pointe vers l’intérieur du golfe. À son tour, l’île du Cap-Breton s’interpose dans l’espace compris entre Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse, de telle sorte que toutes les passes conduisant au golfe peuvent être facilement surveillées.

  1. Ce chiffre serait même assez faible, s’il est vrai que la France emploie à cette même pêche dix mille hommes, répartis sur un nombre de navires qui ne représente que le tiers de ceux de l’Angleterre.
  2. La population de l’île entière de Terre-Neuve est évaluée à plus de soixante mille ames.