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renne se rencontrent assez fréquemment ; le castor est commun autour des lacs ; dans les étangs et les rivières, le poisson abonde. Là, l’Indien trouve donc encore à se nourrir. Cependant, au nord de la région Mackensie-Saskatchawan, il arrive que le gibier disparaît ; comment le sauvage passera-t-il l’hiver ? Les rivières sont trop gelées pour qu’il puisse songer à la pêche ; la perdrix a émigré vers les pays boisés. Le trappeur racle le lichen qui croît sur les rocs, le fait bouillir et en tire une matière gélatineuse encore moins nutritive que le lichen d’Islande. Quand il a dépouillé les pierres de cette substance à laquelle les Canadiens donnent le vilain nom de tripe de roche, il change de demeure ; il erre au hasard, dressant sa hutte de branchages sur un sol maigre où, pendant l’été même, on n’aperçoit qu’une mousse épaisse, entremêlée de touffes d’herbes. La faim le presse. En vain interroge-t-il du regard cette terre inhospitalière qui ne lui offre rien dont il puisse se repaître. La femme du trappeur attend patiemment et en silence le retour de son mari qui revient les mains vides, chaque jour plus amaigri et bientôt si faible qu’il ne peut plus tendre ses piéges. Cette femme a des enfans ; elle contemple d’abord avec angoisse, puis avec une morne indifférence ces pauvres créatures condamnées à mourir de faim. Que se passe-t-il dans ce cœur de mère ? Personne ne le sait ; toujours est-il que les petits disparaissent ; l’Indienne revient à la vie… Elle a donc fait un horrible repas ! Quelquefois plusieurs femmes ainsi repues conspirent ensemble contre les jours de leurs maris. Elles les tuent dans leur sommeil et se partagent leurs corps décharnés, reprenant ainsi assez de force pour continuer leur voyage vers des contrées meilleures. On conçoit que les vieillards et les infirmes, ces êtres souffrans que toute société civilisée entoure de soins et d’égards, deviennent un embarras pour des familles exposées souvent aux tortures de la faim ; quand ils ne peuvent plus suivre leurs parens, ceux-ci les abandonnent sans vivres, sans provisions d’aucun genre à la voracité des loups.

On demandera peut-être pourquoi ces Indiens ne se livrent pas à la culture ? Par la raison bien simple qu’ils habitent entre le 58e et le 68e degré de latitude, et que, sous ce ciel ingrat, les Européens eux-mêmes ne peuvent faire pousser ni légumes ni pommes de terre. D’ailleurs labourer est un travail qui répugne à l’Indien, essentiellement vagabond, paresseux et apathique. La chasse est, nous l’avons dit, l’unique occupation de ces tribus errantes. Le soin d’en recueillir le produit et d’approvisionner les comptoirs de la compagnie repose sur les Canadiens. Ces gens-là sont voyageurs de leur métier, et c’est le nom qu’ils se donnent eux-mêmes. Ils passent leur vie à ramer sur les rivières des régions du nord-ouest ; la langue des Indiens leur est familière. Ils ne redoutent ni les moustiques, ni les glaces, ni même, la