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présidence des hauts-sheriffs, bourgeois consultant leurs aldermen, toute l’Angleterre enfin veut témoigner de la part qu’elle prend aux intérêts en litige.

Le démêlé s’élevant, ainsi à cette gravité qui lui ôte ce qu’il paraissait d’abord avoir de trop acrimonieux, nous sommes plus à même d’en expliquer librement les causes.

Quand il s’agit d’apprécier l’état religieux du peuple anglais, il faut d’abord considérer qu’il a vécu depuis, des siècles sous l’empire d’une religion d’état, qu’il n’y a pas encore cinquante ans, que cette religion officielle s’est résignée à montrer quelques égards pour les cultes dissidens, qu’enfin les catholiques en particulier, ne sont émancipés que depuis 1829. Les luttes du catholicisme et du protestantisme ont coûté du sang à l’Angleterre comme à toute l’Europe ; mais nulle part ce sang n’a été si abondamment versé sur les échafauds et n’a laissé d’un côté comme de l’autre de si cruels souvenirs. L’Angleterre ne s’est jamais tenue, vis-à-vis de Rome, dans une juste mesure ; elle a toujours été ou rebelle ou esclave ; ces alternatives sont aussi anciennes que son histoire, et la mémoire s’en est fidèlement conservée dans un pays où les traditions ne se perdent pas. L’Angleterre protestante se rappelle comme si c’était d’hier que l’Angleterre catholique payait tribut au pape et lui avait été donnée en toute souveraineté. John Bull en est encore à ressentir dans sa dignité nationale l’outrage qu’il plaint ses ancêtres d’avoir souffert dans la leur, et il n’est pas très convaincu d’avoir assez bien pris sa revanche depuis la réformation. Et cependant, par une contradiction qui du reste se voit souvent dans les affaires humaines, ce peuple si hostile à l’église catholique est, de tous les peuples dissidens, celui dont l’église se rapproche, le plus de Rome. Il n’y a, pas de secte protestante qui ait gardé des formes, des institutions et des croyances romaines autant qu’en a gardé l’anglicanisme ; c’est justement ce voisinage qui l’a rendu plus ombrageux. L’épiscopat anglican s’est abaissé devant la royauté en brisant avec le saint-siège, mais il a retenu toute l’autorité hiérarchique sur ses ouailles et sur son clergé. Il a subi l’inconvénient peu honorable d’une investiture spirituelle directement émanée du monarque temporel ; il a dû admettre cette fiction souvent ridicule et quelquefois odieuse qui réunit la tiare à la couronne sur la tête du souverain et reconnaître cette souveraineté dans les choses de la foi comme dans celles du monde. Ainsi, dernièrement, on a pu voir un pasteur poursuivi par son évêque et condamné en cour d’église pour cause de schisme et d’hérésie relevé presque aussitôt de cette sentence par la cour de la reine, et déclaré parfaitement orthodoxe en vertu de l’infaillibilité royale. Les évêques anglicans, sous le poids même de cette dure obédience, n’en ont pas moins perpétué dans leurs mains les privilèges de l’antique établissement catholique. Ils ont joint aux splendeurs des grandes existences de l’épiscopat d’autrefois les commodités du sacerdoce réformé ; mais ces existences mêmes sont demeurées aussi fortement assises sur le sol qu’elles l’étaient au moyen-âge. Les cathédrales et les palais diocésains de l’anglicanisme sont encore debout avec tout l’extérieur du passé.

Il en est du dogme comme de la hiérarchie : les sacremens et les mystères du catholicisme se retrouvent dans la confession de Westminster et dans les trente-neuf articles qui sont la base de la communion anglicane ; seulement ils y sont atténués, par l’esprit laïque ou subordonnés aux convenances du siècle.