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fonction, et non pas un droit naturel ; or, il faut une loi pour déterminer la fonction, et tant vaut la loi, tant vaut le pays qu’elle institue. Nous n’avons pas le culte de la loi électorale du 31 mai ; seulement nous avons encore moins de goût pour la loi antérieure, et nous sommes surpris qu’on y veuille revenir, quand on n’y a rien à gagner, le suffrage universel étant une arme toujours plus commode pour attaquer qu’elle ne l’est pour conserver. Verrons-nous donc la droite se joindre aux abstentions systématiques des républicains zélés dans les futures élections ? La belle partie, si l’on était conséquent !

À propos d’élections, nous ne pouvons omettre celles du Cher, qui ont succédé à celles du Nord, et qui ont causé beaucoup plus de bruit. M. Duvergier de Hauranne, élu avec M. Bidault, a fait en cette rencontre l’une des plus rudes expériences qu’il y ait peut-être jamais eu dans la vie d’un homme politique. Il a subi non-seulement les attaques de ses adversaires, mais encore le silence de ses amis ; n’ayant ni l’honneur d’être des uns, ni le plaisir d’être des autres (il paraît que ce plaisir est vif), nous sommes fort à notre aise pour dire que la rentrée de M. Duvergier de Hauranne dans la législative n’ajoute pas autrement à la somme des inquiétudes que nous inspirent les destinées futures de la religion, de la famille et de la propriété. Nous demandons acte de cette déclaration, qui, s’il vous plait, ne manque pas de courage.

En faisant cette revue des opinions plus que des incidens, puisque les incidens manquent, disons pourtant que l’assemblée a voté régulièrement tout ce temps-ci les lois d’affaires dont on l’a saisie. Cependant M. Bineau ne réussit pas encore à choisir entre les différens projets qui lui sont soumis pour le chemin d’Avignon : Il étudie peut-être en ingénieur, mais il ne décide guère en ministre. Parlez-nous d’un ministre comme serait M. Charassin, qui crée d’un trait de plume ses deux mille cantons, destinés à remplacer en un clin d’œil la France réelle par une France modèle, où tout le monde serait occupé à surveiller tout le monde pour le plus grand honneur de la liberté. Voilà les essais les plus modestes que la république sociale nous propose de prendre à notre compte ! Jugez de ceux que l’on tentera, lorsqu’on sera maître, par ceux qu’on suggère humblement durant la présente captivité de Babylone !

Allons-nous donc décidément à cette existence de chiffres abstraits que les théoriciens du socialisme nous tiennent en réserve ? Est-ce la destinée de l’humanité d’arriver à perdre tous ses sentimens originaux sous un vrai niveau de plomb et de se consumer en masse dans la monotonie de ces futures jouissances qui seront toujours et partout semblables ? L’une des erreurs du socialisme, c’est qu’en même temps qu’il fait de la satisfaction des appétits le premier dogme de sa morale publique, cette morale grossière ne l’empêche pas d’ériger son homme, son citoyen en une sorte d’animal métaphysique taillé d’un pôle à l’autre sur un patron uniforme. Le socialisme ne compte jamais avec ce vieux fonds de nos tempéramens qui ne disparaît pas ; il croit effacer par la seule vertu de son bon plaisir tous ces caractères distincts que les âges, les climats, les traditions, les préjugés même gravent en nous, et qui deviennent la chair de notre chair ; mais à peine a-t-il passé l’éponge quelque part, que la marque ressort ailleurs, comme pour mieux montrer l’impuissance de la doctrine contre la nature. Quel moment a-t-on pris lorsqu’on inaugurait le congrès