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tant ils s’indignent de sentir qu’elle étouffe leur essor. Ils se plaignent amèrement que la France soit ainsi condamnée au régime d’une chambre de malade, où l’on ne peut plus ni rien remuer ni bouger soi-même, ce qui, par malheur, n’est que trop vrai ; mais, jeunes ou vieux, qu’est-ce qu’ils proposent pour remèdes ? Ni plus ni moins, en vérité, que de casser les vitres, ce qui n’a jamais guéri personne. Tenons plutôt la maison close et tranquille, et laissons à la nature le temps qu’il lui faut toujours pour opérer : c’est ainsi que, dans les constitutions énergiques, l’on traite les cas désespérés, Notre cas est franchement assez grave pour nous donner le droit de compter beaucoup sur notre constitution. Devant les circonstances extrêmes, il est sans doute un meilleur rôle que d’abdiquer, et c’est là, quand on est un grand politique, qu’il fait beau mettre son cachet sur les choses humaines. La prudence cependant ne laisse pas d’être un cachet qui témoigne autant qu’un autre de la vigueur des volontés appliquées à s’en servir ; il n’est que les héros qui soient au-dessus des prudens ou dispensés de l’être eux-mêmes, et, les hommes d’état n’étant pas tous d’absolue nécessité des hommes héroïques, personne ne court risque de se trop charger en se pourvoyant par précaution vis-à-vis de la postérité, d’un brevet de prudence. Or, si la prudence consiste bien à n’abandonner au hasard que ce qu’on ne petit pas lui ôter, elle ne saurait consister à lui livrer tout ce qu’on peut ; soit dit en guise de morale à l’usage des gens pressés.

Nous sommes réellement très frappés de l’autorité persévérante avec laquelle la majorité de l’assemblée législative paraît vouloir jusqu’à présent résister aux sollicitations qui la tireraient du calme normal dont elle prend l’habitude. Sauf quelques intermèdes de tapage, dont la montagne n’a pas encore pu se priver, les séances de ces quinze derniers jours ont été certainement plus régulières et mieux ordonnées que les auspices sous lesquels la rentrée du parlement s’annonçait n’auraient permis de l’attendre. Ce n’est pas seulement que les grosses affaires aient jusqu’ici manqué, c’est qu’on a su se gouverner et se modifier soi-même dans celles qui avaient chance de grossir ; on s’est modifié bravement jusqu’à l’inconséquence, tant on se gouvernait de sang-froid. Nous pensons, on le voit, à l’incident, d’hier, au dénouement imprévu qui a couronné par une fin de non-recevoir la proposition de M. Creton.

La destinée de cette proposition est assez singulière pour déconcerter un zèle qui serait moins entier que celui de l’honorable représentant. Il y a déjà plus d’un an que M. Creton a demandé l’abrogation des lois qui retiennent hors de France les membres des anciennes familles régnantes. Sa demande, une première fois repoussée, a été derechef mise à l’ordre du jour après les délais réglementaire ; puis elle en a été retirée, non pas, bien entendu, par M. Creton lui-même, ni par personne, au bout du compte, qui ait eu nominalement l’intention de le faire, mais par une certaine raison impersonnelle et anonyme qui disait, d’après M. Dupin, que « cette proposition reparaissait au moment où l’on ne s’y attendait pas ! » Il n’est rien de tel pour peindre les choses que les mots naïfs échappés aux gens qui ne le sont guère. Cette raison anonyme parlait d’or, et signifiait plus crûment qu’il n’appartenait à qui que ce fût de l’essayer, même à M. Dupin, l’inefficacité regrettable des bons vouloirs perdus de M. Creton. « On ne s’attendait pas à cela ! » Quel argument plus sincère et plus malheureusement irrésistible par sa sincérité ! On avait tant de