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de Charlemagne, de Godefroi de Bouillon, de saint Louis ; l’histoire, la géographie, les arts, lui sont familiers, et il prouve par les formes de son langue qu’il doit connaître aussi les maîtres de la poésie ancienne et moderne.

Vers le même temps, la poésie française était représentée par le duc Charles d’Orléans, père de Louis XII, né en 1391, mort en 1466, « le plus heureux génie, dit M. Villemain, qui soit né en France à cette époque, et à qui l’on est redevable du volume de poésie le plus original du XVe siècle, le premier ouvrage où l’imagination soit correcte et naïve, où le style offre une élégance prématurée. » Fils d’une princesse italienne, Valentine de Milan, dont le charme était si grand qu’il passa pour magique, Charles d’Orléans avait pris de bonne heure, sous les yeux d’une mère aussi distinguée par son esprit que par sa beauté, des habitudes de grace et d’élégance qui contrastent avec la grossièreté des mœurs françaises de ce temps. Retiré dans son château de Blois, à la suite de sa captivité en Angleterre, il y vivait avec des jongleurs et des ménestrels, et y tenait une véritable académie de beau langage. Ses officiers rivalisaient avec lui de goût et d’enjouement, et les poésies qu’il composait lui-même laissent bien loin derrière elles non-seulement toutes celles de ses devanciers, mais celles de ses successeurs immédiats. Malgré tous ces avantages, les vers de l’étudiant de Toulouse sont supérieurs à ceux du prince français, son contemporain ; le voisinage de l’Italie, la tradition de la poésie provençale et l’institution des Jeux Floraux avaient entretenu à Toulouse une culture d’esprit que Charles d’Orléans lui-même ne put pas égaler.

Il n’y a rien de comparable, dans les poésies de Charles d’Orléans, pour la pureté de la forme et la franchise de l’accent, à la Plainte de la Chrétienté devant le Turc, pas même sa Complainte de France. M. Villemain qui est, comme on a vu, très favorable à ce prince-poète, remarque, par exemple, qu’il observait rarement le mélange alternatif des rimes masculines et féminines ; cette règle n’avait pas encore passé dans la poésie française. Il suffit de citer quelques-uns de ses vers pour montrer ce qui lui manque encore sous ce rapport et sous beaucoup d’autres :

Tout chrestien qui est loyal et bon
Du bien de paix se doit fort réjoir,
Veu les gratis maulx et la destruction
Que guerre fait par tous pays courir ;
Dieu a voulu chrétienté punir, etc.

Clément Marot, le véritable créateur de la poésie française, est né en 1495, vingt-quatre ans après la publication de la Plainte de la Chrétienté contre le Turc. Ses premières années ont dû être contemporaines des dernières de Bérenger de l’Hôpital. La poésie française allait naître au moment où la poésie romane jetait, en s’éteignant, quelques-uns de ses plus beaux éclairs. Il est difficile de ne pas supposer que les poètes de la décadence romane eurent une grande influence sur Marot ; la coïncidence des temps est trop frappante. Marot d’ailleurs était né à Cahors, dans une province voisine de Toulouse ; la langue des troubadours dut être celle de son enfance, et il fit partie de cette colonie d’hommes du Midi qu’on voit apparaître de toutes parts, avec les Valois, sous les auspices de la cour de Navarre, véritable invasion qui se personnifie plus