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Mais qu’il y a loin de ce sirvente dévot au fameux sirvente de Bertrand de Born, par exemple, à ce cri de guerre du belliqueux contemporain de Richard Coeur-de-Lion, qui était, lui, un véritable poète !

Du printemps j’aime la douceur
Qui fait feuilles et fleurs venir ;
J’aime le concert enchanteur
Des oiseaux qui font retentir
Leur chant par le bocage ;
Mais j’aime aussi voir sur les prés
Tentes et pavillons plantés ;
Il plaît à mon courage
Voir par nos campagnes rangés
Cavaliers et chevaux armés.


Celui-là aussi aimait les combinaisons de vers et de rimes, comme on peut s’en assurer par cette première strophe dont j’ai reproduit exactement le rhythme et dont voici l’original :

Be ne play lo douz temps de pascor
Que fay fuelhas e flors venir ;
E play mi quand aug la baudor
Dels auzels que fan retentir
Lor chan per lo boscatge ;
E play me quan vey sus els pratz
Tendas e pavallos fermaz ;
E play m’en mon coratge
Quasi vey per campanhas rengatz
Cavaliers ab cavais armatz.


Toutes les autres strophes du poème sont sur les mêmes rimes que la première :

Je vous le dis : point n’ont saveur
Manger ni boire ni dormir,
Tant qu’ouïr l’immense clameur,
Hommes crier, chevaux hennir,
A grand bruit sous l’ombrage ;
« Allons ! allons ! aidez ! aidez ! »
Et voir tomber par les fossés,
Grands, petits, sur l’herbage,
Et les morts dont les flancs percés
Ont les tronçons outrepassés.


Les recherches de versification ne font qu’ajouter, dans le chant de Bertrand de Born, à la force du sentiment ; les petits vers de six syllabes, habilement entremêlés à ceux de huit, représentent, par leur grace naturelle et par les mots placés à la rime, bocage, ombrage, herbage, rivage, les idées printanières et champêtres que l’auteur veut faire contraster avec le tableau des batailles, et le retour des rimes en atz : à la fin de chaque strophe est destiné à ajouter par la répétition des mêmes sons énergiques à l’effet des mêmes élans