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les règles complètes d’une langue qui a été le premier produit de la civilisation moderne. Ces règles, disposées dans un ordre parfaitement didactique qui n’a laissé à peu près rien à faire aux grammairiens ultérieurs, offriraient le sujet d’études curieuses. On y trouverait facilement le germe de toutes les langues modernes dérivées du latin ; mais ces recherches philologiques ont été déjà très bien faites par MM. Raynouard et Fauriel.

J’aime mieux entrer dans quelques détails sur la partie prosodique proprement dite. C’est là qu’on trouve la preuve évidente d’une vérité qui était déjà aux trois quarts démontrée par les publications antérieures, savoir que les troubadours sont les inventeurs des règles de la versification française telle qu’elle existe aujourd’hui. Ni les poètes français du XVIIe siècle, ni ceux du XVIe, ni même ceux des siècles antérieurs n’ont rien inventé quant aux formes ; tout se trouve dans les troubadours et dans Molinier, qui n’est que le rédacteur du code poétique imaginé par ses devanciers. Quelque singulière que puisse paraître cette assertion, quelque fâcheuse qu’elle puisse être pour l’amour-propre dés Français du nord, c’est un fait qui devient incontestable pour quiconque lit avec un peu d’attention soit les poésies des troubadours, soit surtout le traité de Molinier sur la versification romane.

Les deux caractères principaux du vers français sont : 1° la substitution du nombre des syllabes à l’antique cadence des longues et des brèves ; 2° la rime. Avant d’être adoptés par les poètes français, ces deux principes étaient ceux du vers roman.

Non-seulement Molinier donne le nombre des syllabes pour mesure du vers, mais il divise les vers en vers de douze, de dix, de neuf, de huit, de sept, de six, de cinq et de quatre syllabes, qu’il appelle principaux, et en vers de trois, de deux syllabes et d’une seule, qu’il appelle brisés. En donnant les règles des vers de douze syllabes, par exemple, il fait parfaitement remarquer qu’il doit y avoir un repos au sixième pied, et dans l’exemple qu’il cite, qui est une longue tirade de cinquante vers, le repos est indiqué au milieu de chaque vers par un point.

Nueg e jour en son cor, per mielhs far son plaser.
(Nuit et jour en son cœur, pour mieux faire à son gré.)

Dans le poème roman de la Guerre des Albigeois, écrit un siècle avant Molinier, nous trouvons le vers de douze syllabes couramment employé. Il est vrai que le poème français d’Alexandre, d’où est venu au vers français de douze syllabes le nom d’alexandrin, est antérieur au poème de la Guerre des Albigeois ; Mais des exemples de ce vers se retrouvent dans des troubadours antérieurs eux-mêmes au poème d’Alexandre. Ce dernier poème est du XIIe siècle ; les premiers monumens de la littérature romane remontent jusqu’au IXe.

À propos des vers de onze syllabes, Molinier fait remarquer que le repos peut être indifféremment soit après la cinquième syllabe, soit après la sixième ; pour le vers de dix syllabes, il recommande expressément de placer le repos après la quatrième ; il proscrit le vers de neuf syllabes comme peu harmonique, et pour les vers de huit et au-dessous, il déclare les repos inutiles ; ne croirait-on pas lire un traité de versification française écrit hier ?

Ce n’est pas tout. Molinier établit encore la différence entre les vers qu’on