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elle-même, que les causes de ses malheurs étaient dans ses fautes, et que, pour obtenir ce qu’elle désirait, son unique ressource était d’abjurer d’abord les étourderies qui le rendaient impossible, puis d’acquérir les facultés qui en permettaient l’accomplissement. Loin de là notre corps enseignant a été comme un faisceau de forces qui allaient dans un mauvais sens, et qui ne pouvaient que faire le mal, fussent-elles animées des plus nobles intentions, fussent-elles des convictions sincères et d’héroïques dévouemens, car elles se sont consacrées à persuader à la nation qu’elle n’avait pas à s’inquiéter de s’amender, qu’elle n’était tenue à rien[1] ; elles ont rivalisé d’efforts pour faire de nous un peuple qui attribue à des formes sacramentelles le don des miracles, et qui perd toutes ses énergies en les usant à poursuivre ces merveilleuses combinaisons. Trouver le secret de rendre tous les Français libres sans qu’ils soient obligés eux-mêmes de ne pas abuser de leur liberté, faire prospérer l’agriculture sans que l’amour de l’agriculture existe dans le pays, assurer aux ouvriers les profits du travail sans qu’ils soient laborieux, en un mot trouver l’art de faire pousser des fruits sans arbre, tel est le problème étrange que nos précepteurs nous ont encouragés à ressasser sans fin.

Qu’on y prenne garde : ceci ne tend à rien moins qu’à faire de la presse et du gouvernement représentatif des objets d’épouvante, et plus tard des impossibilités. La presse déjà s’est assez mise en mauvais renom, et peut-être pourrait-on aller jusqu’à dire que beaucoup d’lionnêtes gens désirent vaguement qu’on la supprime. Je mentionne seulement cette opinion comme un renseignement sur la manière dont la presse s’est comportée chez nous ; du reste, je suis loin de la partager. Les sociétés ne reviennent pas plus sur leurs pas que les arbres ne rentrent dans leur germe. Une fois que les puissances intellectuelles d’une nation se sont habituées à fonctionner dans une direction, il n’y a plus qu’une ressource pour prévenir les malheurs que pourraient amener leurs folies : il faut qu’elles apprennent à éviter ce qui entraînerait des catastrophes. Vouloir leur donner des menottes en guise de sagesse, c’est encore mettre ses espérances dans un fétiche et attendre de lui son salut, au lieu de l’attendre de soi ; une pareille illusion n’est qu’un danger de plus. Toujours est-il que ce danger lui-même nous -vient encore de la presse et que bien certainement il n’y a pas, de liberté

  1. Nos radicaux, on le sait, ont imaginé une société où l’état serait chargé de tout et répondrait de tout : quant aux Français, ils recevraient la becquée, comme de petits oiseaux, et leur seule occupation serait de discuter comment l’état devrait faire chaque chose. Ceci, il est vrai, n’est que la folie d’un parti, mais il y a un peu de ces idées dans presque tous les esprits, ou, si l’on veut, le radicalisme est simplement le lieu commun plus zéro, tandis qu’ailleurs le lieu commun est plus ou moins modifié par autre chose.