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Pour nous occuper d’abord de ce qu’a été la presse en France, il est un aveu auquel nous ne saurions nous refuser, à moins d’une grande ignorance ou d’un parti-pris de vanité : cet aveu, c’est que les tendances de ses organes en général, — et surtout l’influence qui a été comme la résultante de leurs efforts et qui a dominé l’opinion publique, — sont loin de leur assigner le premier rang en Europe. Le véritable sentiment des choses politiques a entièrement manqué à presque tous : ils n’ont pas en cette connaissance de l’homme qui donne seule la puissance de gouverner des masses humaines et d’apprécier la situation de leurs affaires ; ils n’ont pas même entrevu ce qu’était un état libre et ce que la presse avait à faire dans de semblables circonstances. Je m’explique : la presse française a eu pour point de départ une bévue que j’ai déjà indiquée ; elle n’a pas pu s’élever jusqu’à comprendre que le rôle des intelligences était de surveiller l’esprit public, d’examiner sans cesse si le pays n’était pas ce qu’il ne devait point être, et de travailler constamment à le guérir de ses maladies, comme à développer ce qui lui faisait défaut. Tout au contraire, elle a cru que la seule chose nécessaire était de découvrir ce que devait être le gouvernement, ce que devait être chacune de nos institutions, et en conséquence elle ne s’est occupée qu’à examiner tous les jours si le gouvernement était ce qu’il devait être, à reprocher aux institutions de ne pas être ce qu’elles devaient être, à expliquer tous les malaises et toutes les choses mauvaises par ce qu’avait été le pouvoir ou l’organisation sociale. La France a été dotée à grands frais de feuilles légitimistes, socialistes, républicaines, monarchiques. Beaucoup de journaux se sont fondés pour soutenir telle ou telle thèse, telle ou telle cause, tel ou tel principe : ceux-ci une réforme administrative, ceux-là une autre réforme. Où sont ceux qui, en prenant la parole, ne se sont donné pour tâche que d’étudier sans relâche et sans parti-pris toutes les questions, de chercher à découvrir tout ce que leur raison pourrait découvrir, de confesser ensuite virilement l’opinion, quelle qu’elle pût être, qui, sur chaque question, leur semblerait la plus vraie, et résumerait le mieux toutes les données qu’ils auraient aperçues ? Où sont les journaux enfin dont le programme a été de ne parler que pour faire l’éducation de leurs lecteurs, et d’aviser constamment aux moyens d’éclairer et de moraliser ? Hélas ! j’en aperçois bien peu. Leurs improvisations quotidiennes ont dénoté seulement que nul dans le pays, ou presque personne, n’était à la hauteur des circonstances. Les meilleures têtes ont été incapables de concevoir que ce ne sont pas les situations et les particularités des situations qui peuvent perdre ou sauver. Nous n’avons pas eu de corps enseignant pour répéter chaque jour à la France que le moyen d’améliorer sa position était de s’améliorer