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était facile et bon. Paulin, contre son attente, le trouva soucieux et froid. Après lui avoir confié que les Goths seraient fort heureux de le tenir entre leurs mains pour le tuer, le cher roi lui déclara que non-seulement il ne s’esquiverait pas au dehors, comme il l’avait espéré, mais qu’il ne rentrerait pas dans la ville, à moins de l’y introduire avec lui ; car le chef alain, dans son ardent désir d’échapper aux Goths, voulait s’entendre avec les magistrats de Bazas et les aider à préserver leur ville. Paulin se récria ; mais le barbare, une fois la confidence faite, ne voulut pas se démentir, et il fallut que, bon gré, mal gré, le ministre d’Attale le mît en rapport avec les magistrats. Ceux-ci, hommes de bon sens, consentirent sans hésiter ; on régla les mouvemens qui devaient avoir lieu la nuit même, et l’on échangea des otages. Goar livra sa femme et son fils. « La troupe des Alaines, dit le poète, spectateur de ces événemens, sauta des chariots qui lui servaient de demeure, et vint se mêler aux guerriers armés[1]. » La horde se mit en marche et prit position sous les murs de la ville. Tout cela se fit sans bruit ni désordre, et au point du jour les Goths aperçurent, avec étonnement les créneaux garnis d’une foule innombrable, et au pied de la muraille, dans le pomoerium, une seconde enceinte formée des lancés et des chariots des Alains. Ils comprirent ce qui se passait, et levèrent le siège.

La terre natale des Théodose ne porta pas bonheur à Placidie. En arrivant à Barcelone, elle perdit son enfant, ce double gage d’amour et d’une réconciliation toujours espérée. Ataülf et elle, inconsolables, l’enfermèrent dans un cercueil d’argent qu’ils firent déposer dans un oratoire voisin de la ville. Ce fut bientôt le tour du père. Il y avait dans l’écurie du roi goth un palefrenier petit et difforme nommé Vernulf, dont il faisait son jouet : un jour, soit que les railleries eussent été plus amères que de coutume, soit que le raillé fût devenu moins patient, il assaillit son maître à l’improviste et lui enfonça un couteau dans le flanc. D’autres racontent l’affaire autrement : ils disent que cet homme, nommé Dobbie, était un esclave dont Ataülf avait fait mourir l’ancien maître, et qui couvait depuis longues années son projet de vengeance. La suite de ce récit fera voir que les inimitiés politiques purent aussi avoir dirigé ou provoqué le bras de l’assassin.

  1. Ce Paulin, surnommé le Pénitent, petit-fils d’Ausone, ruiné par l’invasion gothique et tombé d’une grande opulence dans la dernière misère, a raconté en vers toutes les vicissitudes de sa vie. Son poème est intitulé Eucharisticon, ou Action de grace. Il y remercie Dieu de toutes les traverses qui ont eu pour résultat de le ramener à la pénitence. Ses vers, incorrects et quelquefois inintelligibles, contiennent des peintures curieuses des événemens auxquels il a pris part. C’est à lui que nous empruntons tous ces détails.