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rendant nécessaire la ressource du travail, a fait du droit de travailler la propriété de tout homme, et cette propriété est la première, la plus sacrée et la plus imprescriptible de toutes. » L’édit d’abolition, malgré sa haute sagesse, fut révoqué peu de temps après sa promulgation, et, l’année suivante, les maîtrises et les jurandes furent rétablies, mais dans une forme nouvelle, et, comme l’a dit avec raison M. Blanqui, l’industrie reçut une organisation moins vicieuse que celle détruite par Turgot, mais vicieuse encore, puisqu’elle reposait sur des limitations, des exclusions, des monopoles[1]. Les dispositions de l’édit de 1777 ne furent d’ailleurs appliquées que par exception. Les parlemens de Bordeaux, de Toulouse, d’Aix, de Besançon, de Rennes et de Dijon avaient refusé d’enregistrer cet édit, et de la sorte la Guyenne, le Languedoc, la Provence, la Franche-Comté et la Bretagne restèrent placés sous un régime qui datait de plusieurs, siècles. Ce n’était là toutefois qu’une résistance impuissante ; le système du privilège, du monopole, de l’exclusion, de la tyrannie administrative, contre lequel s’étaient vainement débattues les classes industrielles du moyen-âge, devait bientôt s’écrouler sans retour, et la liberté du travail, qui découle de l’égalité des droits, cette liberté que tant d’esprits généreux avaient en vain réclamée sous l’ancienne monarchie, l’assemblée constituante l’établit par la loi du 2 mai 1791.

Nous le demandons maintenant aux hommes de bonne foi qui se placent sagement en dehors de la solidarité des écoles ou des partis, véritable esclavage de l’intelligence : peut-on sans injustice contester que depuis un demi-siècle le travail national ait fait de notables progrès, que la condition des classes laborieuses se soit sensiblement améliorée ? Ce système corporatif, que des novateurs rétrogrades s’obstinent encore à nous montrer, sous des noms nouveaux, comme la terre promise de l’industrie, qu’était-il autre chose, en réalité, que la concurrence collective, l’antagonisme des castes poussé à ses dernières limites, la consécration du monopole, la tyrannie la plus absolue des intérêts égoïstes ? Seul au milieu de ce chaos et de cette barbarie, le christianisme fait briller l’impérissable lumière de sa morale et de sa charité ; mais le bien que produit la loi religieuse est comme anéanti par la loi civile, et cependant, malgré cette leçon du passé, on réclame encore aujourd’hui la réglementation systématique du travail, comme si, en un semblable sujet, l’application d’un système était autre chose que le despotisme, comme si l’activité humaine, en ce qu’elle a de légitime et de moral, pouvait être réglementée sans être anéantie. C’est en vain d’ailleurs que la révolution de 89 a fait disparaître les castes et rétabli l’égalité des droits ; du moment où l’on veut pour l’état la direction souveraine, l’absorption des forces individuelles, il n’y a pas de moyen terme entre la liberté d’une part, la tyrannie et le communisme de l’autre. On a beau discuter, on ne réfute pas la logique des faits : c’est par la liberté que se sont accomplis dans le passé le progrès industriel et l’amélioration du sort des classes laborieuses ; c’est par elle que ce progrès, cette amélioration, s’accompliront encore dans l’avenir.


CHARLES LOUANDRE.

  1. Cours d’Économie industrielle, 1839, p. 116.