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les plus simples notions de l’équité. On créait, en titre d’office, des maîtres, des gardes, des contrôleurs, des auneurs, des peseurs-jurés, etc., et ces offices une fois vendus, on les supprimait après quelques années pour forcer les possesseurs à en obtenir, moyennant finance, la jouissance et le maintien. Des plaintes vives et répétées s’élevèrent à cette occasion du sein de toutes les villes, du sein de toutes les communautés ; mais il en fut de ces protestations comme des doléances des états-généraux : on passa outre, et l’on peut dire sans exagération que ces spéculations de la fiscalité royale, provoquées par les nécessité, de la guerre et des prodigalités folles, furent, avec la révocation de l’édit de Nantes, le grand désastre de l’industrie française au XVIIe siècle.

Les libertés municipales, intimement liées aux libertés industrielles, déclinèrent parallèlement à ces dernières. Les gens des métiers parmi lesquels s’étaient recrutés à l’origine, sans distinction de profession, les membres de magistratures urbaines, se divisèrent en une foule d’aristocraties rivales qui écartèrent insensiblement des corps municipaux les corporations les moins riches et les moins nombreuses. Dans les échevinages, comme dans les maîtrises et les jurandes, les créations à titre d’office vénal remplacèrent les fonctions électives, qui furent accaparées par ceux qui faisaient le négoce, et les artisans, qu’on appelait gens mécaniques, c’est-à-dire ceux qui travaillaient des bras, furent exclus des charges publiques par cela seul qu’ils travaillaient.


V. – LES SOCIETES D’ASSISTANCE AU MOYEN-ÂGE ET LES CONFRERIES MYSTIQUES DES METIERS.

Si grande qu’ait été cependant sur notre ancienne législation industrielle l’influence de l’intérêt personnel, de l’esprit de monopole et d’exclusion, l’égoïsme ne devait point régner seul et souverainement dans les codes des métiers ; aussi retrouve-t-on dans ces codes, par un de ces contrastes fréquens au moyen âge, la fraternité la plus grande à côté des privilèges les plus absolus, les prescriptions morales les plus sages à côté des lois économiques les plus désastreuses. Le christianisme, qui avait affranchi, réhabilité le travail, devait aussi réhabiliter cette législation imprévoyante et lui laisser, comme à toutes les choses qu’il a touchées dans la barbarie des vieux temps, l’empreinte de l’austérité et de la charité. Cette double empreinte est marquée en effet sur tous les statuts, d’une part dans les prescriptions qui touchent aux faits de conscience, à la règle de la vie, de l’autre dans celles qui se rapportent à l’accomplissement des œuvres charitables.

En ce qui concerne les faits de conscience, les statuts déterminent les conditions de probité et de moralité en vertu desquelles on est admis dans le métier, et celles en vertu desquelles on peut s’y maintenir. La première condition de l’admission est une réputation intacte : les usuriers, les joueurs, les ivrognes, sont sévèrement repoussés, et ce n’est point seulement le vice, mais le soupçon du vice qui devient un motif d’exclusion. Ainsi, à Béziers, pour entrer dans la corporation des bouchers, il fallait, lorsqu’on avait été accusé de vol ou de fraude, se justifier de cette accusation. À Issoudun, nul ne pouvait être reçu maître dans la corporation des tisserands, s’il n’était de bonne vie, marié ou dans l’intention de se marier. Au point de vue de la considération, de l’intérêt