Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/858

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et les mœurs des hommes de métier[1]. Au moyen-âge plus encore qu’aujourd’hui, les villes industrielles étaient promptes aux révoltes. Déjà, au XIIe siècle, Lyon arborait, avec Pierre Valdo, la bannière du communisme, et demandait, au nom de la fraternité évangélique, le partage des biens. Dans le XVIe siècle encore, cette ville était si vivement travaillée par l’esprit de sédition, que les consuls furent obligés de nommer dans chaque rue des magistrats militaires qui, sous le nom de quarteniers, étaient chargés de prévenir les soulèvemens[2]. C’est surtout avec la renaissance, au moment où, par le développement du luxe et l’extension du commerce international, l’industrie prend un plus grand essor, que les émeutes éclatent plus nombreuses et plus redoutables. Souvent elles se produisent par les mêmes causes qui agitent aujourd’hui nos grands centres manufacturiers. En 1556, les ouvriers de Paris se révoltent contre l’hôpital de la Trinité, où l’on faisait travailler les enfans pauvres[3], comme ils se sont de nos jours révoltés sur plusieurs points de la France contre le travail des maisons religieuses ou des prisons. Ainsi nous voyons encore en 1545 la plupart de ces mêmes ouvriers, qui déjà avaient le monopole des objets de luxe, se mettre en grève pour forcer les maîtres à élever le taux du salaire. On fut contraint d’accéder à cette demande, et, par suite de l’augmentation, les ouvrages confectionnés dans la capitale atteignirent un prix tellement exorbitant, que l’industrie en fut long-temps paralysée.

Indifférentes au sort des classes laborieuses, étrangères aux plus simples principes de la science économique et à toute idée de progrès, les lois civiles dans le moyen-âge ne s’inquiétaient guère de prévenir les émeutes par de sages mesures et d’utiles améliorations. Elles laissaient à la religion le soin de soulager la misère, et, pour leur part, elles ne s’occupaient que d’étouffer ses cris. Les soulèvemens, les coalitions d’ouvriers, étaient réputés délits contre la majesté royale, contre le bien de la chose publique, et, comme tels, punis de mort ; on n’y voyait qu’un fait matériel, dont on ne recherchait point les causes morales, et, sous le coup de ces lois sans miséricorde, la révolte était toujours sans pitié.


IV. – POLICE ET PENALITE INDUSTRIELLE;

Strictement déterminée par les statuts des corporations, la pénalité était pour ainsi dire double, en ce qu’elle s’étendait aux personnes et aux choses, au fabricant

  1. Recueil des Ordonn., t. V, p. 194, 595, 596. Ibid., t. VII, p. 27 ; VIII, p. 493 ; XVI, ’p. 550. — Isambert, Recueil des anc. lois françaises, t. XII, p. 763. — Floquet, Histoire du Parlement de Normandie, t. IV, p. 520 et suiv. ; t. VI, p. 410.
  2. Clerjon, Histoire de Lyon, t. IV, p. 319.
  3. L’hôpital de la Trinité, fondé à Paris en 1545, pourrait être, même aujourd’hui, cite comme un véritable modèle de bonne administration. Les enfans pauvres admis dans cet hôpital étaient divisés en deux classes ; les plus jeunes apprenaient à lire, à écrire, à chanter ; les plus âgés apprenaient un métier, et le produit de leur travail était destiné en partie à l’entretien de l’hospice, en partie à un fonds de réserve qui leur était remis à l’âge de vingt-cinq ans, lorsqu’ils sortaient de l’hôpital. On leur apprenait de préférence quelques métiers inconnus en France, afin d’éviter le tort que la concurrence aurait pu faire aux classes ouvrières. Cette précaution avait de plus l’avantage d’introduire dans le royaume des industries nouvelles.