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de l’organisation religieuse, on n’y trouve que privilège, monopole, exclusion. Chacun est enfermé non-seulement dans sa profession, mais encore dans un grade distinct, et chaque profession elle-même est enfermée dans chaque ville. Chassé par la famine, la guerre ou le manque d’ouvrage, des lieux où il avait fait son apprentissage, où il s’était établi avec sa famille, l’ouvrier ne pouvait, comme aujourd’hui, aller librement chercher du travail là où il espérait en trouver, car le droit de travailler s’achetait, comme la bourgeoisie, par un impôt, une résidence plus ou moins prolongée, ou la participation pendant un certain temps aux charges publiques. Le domicile légal était appliqué dans toute sa rigueur à l’exercice des métiers. Jusqu’à la fin du XVIe siècle, les maîtres ou compagnons qui passaient d’une ville dans une autre pour s’y fixer étaient souvent obligés de recommencer l’apprentissage ou le chef-d’œuvre. Ils ne pouvaient s’établir dans des villes étrangères sans l’autorisation des magistrats municipaux et le consentement, des corporations elles-mêmes. Cette autorisation était presque toujours refusée par crainte de la concurrence, et on ne l’accordait que dans des cas tout-à-fait exceptionnels, par exemple, quand les forains apportaient avec eux une industrie nouvelle, ou quand les villes dépeuplées voulaient appeler de nouveaux habitans dans leurs murs. Ces villes alors proclamaient la liberté du commerce ; mais, quand la prospérité publique s’était ranimée, on en revenait vite aux anciennes habitudes. Les rois furent souvent contraints de protester au nom du droit et de l’humanité contre ce déplorable égoïsme, et d’assurer un asile et du pain à des populations flottantes, en les faisant participer, par un acte d’autorité souveraine, aux privilèges des villes florissantes ; mais cet établissement n’était que temporaire et limité par l’autorisation même en vertu de laquelle il avait lieu. Cette exclusion des forains fut, au moyen-âge, l’une des principales causes de cette jacquerie permanente de pauvres dont le nombre augmenta sans cesse du XIVe au XVIe siècle, et qui devinrent pour le royaume un immense embarras. Traqués sans cesse par des guerres impitoyables et surtout par les guerres contre les Anglais, qui, dès le moyen-âge, avaient systématiquement organisé la destruction, les ouvriers, dépossédés de leurs maisons, de leur pécule, de leurs outils, étaient exclus par une législation égoïste des bénéfices du travail ; ils retombaient comme mendians à la charge de la société, ou se trouvaient comme vagabonds sous le coup d’une pénalité cruelle qui leur faisait expier la misère que les lois elles-mêmes leur avaient faite.

Travailler chacun chez soi, chacun pour soi, et faire loyalement sa besogne, telle est la formule générale par laquelle on peut résumer les principales obligations professionnelles des artisans soumis au régime des corporations. Travailler chacun chez soi, chacun pour soi, c’est là une prescription singulière sans doute, et qu’on s’étonne de trouver appliquée à ces communautés fondées avant tout sur le principe de l’association ; mais cette prescription n’en est pas moins positive, et ceux qui l’enfreignaient s’exposaient à perdre leur état pour cause de monopole et de coalition. L’association des capitaux n’était permise que pour le grand commerce, exploité par les hanses ; elle était sévèrement interdite, ainsi que celle des bras, dans la moyenne industrie.

Faire loyalement sa besogne, c’est là une loi universelle et qui fut toujours rigoureusement maintenue. Ce n’est pas seulement l’artisan qui doit être probe,