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condamner les femmes à une misère inévitable, de seconder la séduction et la débauche. » Elles ne figurent en effet dans les statuts que comme filles ou comme veuves de maîtres. La maîtrise n’étant héréditaire qu’en ligne masculine, le seul avantage dont elles jouissent, comme filles, est de dispenser des droits de chefs-d’œuvre et de réception les apprentis ou les compagnons qu’elles épousent. Comme mères, comme veuves, elles sont en général fort rigoureusement traitées. Il leur est permis dans le veuvage de tenir ouvroir et de faire travailler des compagnons ou valets, mais à la condition expresse qu’elles resteront veuves. Lorsqu’elles épousent en secondes noces un homme étranger à la profession de leur premier mari, elles sont déchues de leurs droits, ainsi que leurs enfans du premier lit. On punit donc du même coup le mariage et la naissance ; quelquefois même elles sont également déchues, quand l’aîné de leurs fils est en âge d’exercer pour son compte.


III. – LES PRIVILEGES ET LES LOIS DE LA FABRICATION. – LE TAUX DES SALAIRES.

Sous l’empire de cette organisation, chaque artisan, on le voit, est pour jamais immobilisé à la place que lui a faite la hiérarchie du métier. Ceux qui sont inféodés à cette hiérarchie n’en peuvent sortir, personne n’y peut pénétrer du dehors, et chaque association n’est en réalité qu’un monopole. La défense d’exercer plus d’une industrie à la fois est, pour ainsi dire, universelle et sans exception, et souvent le même métier se partage en plusieurs branches, complètement isolées les unes des autres, quoique à peu près semblables. Ainsi, les cordonniers qui travaillent les cuirs neufs sont distincts des savetiers ou sueurs de vieil, qui raccommodent la chaussure et emploient de vieux cuirs. Les armuriers qui font la lame des épées ne peuvent fabriquer les boucles des ceinturons, les garnitures des fourreaux. Les chirurgiens-barbiers rasent et pansent les plaies qui ne sont point mortelles. Le pansement des plaies qui peuvent entraîner la mort est réservé aux chirurgiens de robe longue, mais il leur est défendu de raser. Au sein d’une pareille organisation, ce n’était, pour ainsi dire, que par hasard que le talent et l’aptitude pouvaient trouver leur véritable voie. Un grand nombre de capacités étaient mal employées, un nombre plus grand encore restaient perdues faute d’emploi. De plus, le morcellement des diverses industries, la difficulté de déterminer nettement les attributions de chacune d’elles, donnaient lieu à une foule de procès ruineux dont quelques-uns duraient souvent plusieurs siècles. Les tailleurs plaidaient contre les fripiers, les fripiers contre les marchands de draps, les corroyeurs contre les tanneurs ; les libraires étaient en querelle avec les merciers, qu’ils voulaient contraindre à ne vendre que des almanachs et des abécédaires, etc. Ces procès interminables et très dispendieux étaient soutenus aux frais des corporations, et l’on a calculé que, dans les deux derniers siècles, ils coûtaient, aux communautés de Paris seulement, plus d’un million chaque année[1].

Aux causes déjà si nombreuses de rivalités et de discorde que faisait naître la difficulté de poser nettement entre chaque spécialité une limite précise, s’ajoutaient

  1. Vital-Roux, Rapport sur les corps d’arts et métiers, 1805, imprimé par ordre de la chambre de commerce.