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progrès est incontestable, et l’on n’a plus à discuter cette période de notre histoire ; souverainement jugée par M. Augustin Thierry ; même, parmi les écrivains qui se montrent le plus disposés à faire le procès de notre époque, il en est quelques-uns, M. Robert du Var, par exemple, qui sont forcés de reconnaître, dans la condition des classes laborieuses, une constante évolution vers le bien, ce qui ne les empêche pas de retrouver, dans les éventualités de la concurrence, les chaînes de l’esclavage antique et la glèbe du serf du moyen-âge : contradiction singulière, mais inévitable pour l’écrivain de parti, qui, malgré l’évidence des faits, reste obstinément attaché à un système absolu.

Les corporations, dans le chaos de leur constitution première, n’eurent d’autres règles que des usages nés des besoins et des exigences du moment. Louis IX, le premier, sentit la nécessité de leur donner des lois écrites, de les soumettre à une police active et vigilante. Par son inspiration et sous ses yeux mêmes, le prévôt de Paris, Étienne Boileau, dressa pour la capitale un code industriel, dont le texte fut soumis à l’approbation exclusive des gens de métiers convoqués en assemblée générale ; il résulta de là que chaque métier, arbitre souverain de sa propre loi, fit constamment prévaloir son intérêt particulier sur l’intérêt général ; mais, quoi qu’il en fût de cet inconvénient, Louis IX et le prévôt de Paris atteignirent une partie du but auquel ils tendaient, et ce but, c’était, d’une part, de réprimer les désordres, les exactions et les fraudes qui déshonoraient l’industrie ; de l’autre, d’assurer aux gens de métiers toute sécurité pour leurs biens et pour leurs personnes, en les plaçant sous la double sauvegarde du pouvoir royal et de l’association. Le recueil des textes législatifs dressés par Boileau servit de modèle ou de guide à la plupart des villes du royaume.

Sous l’empire de cette législation nouvelle, qui ne faisait que consacrer en bien des points des usages préexistans, chaque métier forma comme un groupe à part, uni entre tous ses membres par les liens d’une association puissante, mais complètement distinct de tous les autres métiers. Chaque groupe fut investi du droit de fabriquer ou de vendre tel ou tel objet, mais sans pouvoir franchir, pour la fabrication ou la vente, les limites qui lui avaient été assignées. La corporation occupa dès-lors dans la commune une place analogue à celle que la commune occupait dans l’état. Circonscrite et isolée comme elle, elle chercha dans des lois particulières les garanties, l’ordre qu’elle ne trouvait point encore dans le droit public. Elle prit pour emblème cette devise : Vincit concordia fratrum ; mais elle offrit cela de particulier, que, née de la démocratie et se développant contre le système féodal, elle s’organisa féodalement. Elle eut comme la noblesse ses privilèges, sa hiérarchie, son organisation militaire, son blason[1], et, dans ce monde où l’inégalité était partout, où des barrières infranchissables séparaient toutes les castes, elle créa des castes parmi les travailleurs eux-mêmes, et constitua, à côté de la féodalité nobiliaire, une féodalité nouvelle, celle de l’industrie.

Désignés sous le nom de statuts, règlemens, brefs, ordonnances, les monumens de

  1. On peut voir comme spécimen ce qui concerne le blason des corps de métiers de Rouen dans l’exact travail de M Ouin-Lacroix sur les anciennes corporations de cette ville.