Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/820

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’insurrection, animée par les souvenirs qu’on lui retraçait et toute fière de son nouveau 10 août, ne parut pas disposée à se laisser licencier au premier signe. Quand elle eut levé ses nouvelles recrues, la révolution leur fit exécuter à peu près la même manœuvre que quarante années auparavant. Derrière les constitutionnels se placèrent les républicains modérés, puis les terroristes du procès des ministres, puis les communistes de 1834. Sur les pas du même Lafayette, on vit se presser de nouveau Robespierre et Baboeuf.

Épurée des souvenirs révolutionnaires, la solution libérale, si évidemment montrée comme le terme de la révolution française par MM. Thiers et Mignet, passa de l’opposition au pouvoir, et de même qu’elle avait eu, pendant la restauration, pour publiciste Benjamin Constant, et pour son plus grand orateur Royer-Collard, elle eut alors pour homme d’état et pour fondateur Casimir Périer. Dès-lors, une lutte nouvelle s’organisa : la lutte de la démocratie pure, présentée comme le dernier mot de la révolution, contre l’interprétation parlementaire, qui gouvernait et régnait. Comment, battue dix-huit ans dans les rues, condamnée par les tribunaux, repoussée par la masse des intérêts, détestée et même flétrie par l’esprit public pris dans son ensemble, la démocratie parvint-elle à s’implanter dans la partie de l’opinion la plus remuante et la plus active, et à prendre, pour ainsi parler, le haut du pavé comme théorie et comme enseignement ? Comment traduisit-elle des passions en idées, en systèmes qui rendirent à celles-ci avec usure ce qu’ils en avaient reçu ? Comment surtout l’histoire de la révolution devint-elle son nouvel et son plus puissant instrument de propagande ? Les pièces du procès sont aujourd’hui dans nos mains.

L’interprétation démagogique ne se montra pas d’abord moins habile que persévérante ; elle ne négligea rien de ce qui pouvait lui profiter, elle fit tout tourner à ses fins. Il y avait dans les masses des souffrances réelles : elle les exploita ; des haines absurdes, des besoins d’imagination : elle s’employa à les exalter. Pas une chimère qu’elle n’ait ainsi flattée, caressée ; pas une faculté, en quelque sorte, de l’esprit humain et pas une maladie de l’esprit moderne qu’elle n’ait, pour ainsi parler, servie suivant son goût ; pas une idée juste, saine, y compris le sentiment religieux et le christianisme, qu’elle n’ait cherché à tirer à soi, en lui donnant la forme violente et fausse qui lui est propre.

Le mouvement fut avant tout économique, de même qu’il avait été exclusivement politique sous le précédent régime. Pendant toute la durée du gouvernement de juillet, on peut dire que l’histoire contemporaine a été écrite sous l’influence des critiques adressées à notre état social par Saint-Simon et Fourier. Le régime de la liberté industrielle inauguré en 1789, en brisant la vieille organisation, avait