Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Byron. J’en étais resté sur ce grand poète à mes impressions de jeunesse. Depuis l’époque de sa première vogue[1], d’autres études m’avaient fort éloigné de lui. Ce n’est pas d’ailleurs un de ces compagnons avec lesquels on passe sa vie, le livre familier où l’on va chercher le soulagement des maladies de l’ame. Vivant tout près de Newstead, dans la partie de l’Angleterre où l’on s’occupe le plus de lord Byron, l’esprit et le cœur remués de ce qu’il y a de bizarre et de mélancolique dans les souvenirs qu’il y a laissés, c’était l’occasion ou jamais de rouvrir ses poésies négligées. Il me semblait qu’après le pèlerinage à la maison du poète, j’en devais un autre à ses vers que m’avait rendus suspects l’admiration d’autres modèles, et je me persuadais qu’en voulant être juste, j’en trouverais le prix dans des plaisirs inattendus.

Une autre disposition d’esprit me portait à relire lord Byron. Les ruines que le doute avait faites dans son esprit, nourri de dégoûts prématurés, les derniers événemens les ont faites dans la société où nous vivons. Nous avons vu tout à coup de grands principes vaincus, les croyances des sages renversées et moquées, leurs prodigieux efforts perdus, la vérité impuissante, les faux besoins prévalant sur les vrais, l’avenir suspendu entre des institutions auxquelles personne ne croit et le hasard des supériorités individuelles. Oserai-je dire que, dans cette première défaillance qui suit les grandes pertes, et j’entends par là celles de la fortune morale, je me suis senti attiré vers ces cruels génies qui commencent et finissent par le doute, et qui, dans la férocité de leur mépris pour les sociétés humaines, en viennent à n’aimer que la nature extérieure et l’indépendance de la vie sauvage ? C’est ainsi qu’avant d’avoir vu Newstead j’inclinais vers lord Byron, et que je pensais à aller apprendre de lui quelles tristes joies l’esprit peut tirer de ses découragemens et quel plaisir on peut prendre à vivre au milieu des ruines. L’impression qui m’en est restée, peut-être la dirai-je quelque jour, avec la confiance, sinon de dire du nouveau, du moins de rencontrer le sentiment de quiconque lirait lord Byron, ayant au cœur la plaie dont souffrent, en ce triste temps, tous ceux qui n’y vivent ni en hommes d’intrigues ni en aventuriers.


NISARD.

  1. En 1823.