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cette eau dormante pour faire remonter à la surface tous les instincts dépravés ou sauvages qui fermentaient depuis quarante ans au fond. L’opposition n’y vit qu’un nouveau prétexte d’agitation, accusant le gouvernement de n’avoir pas osé punir ces abominations, ce qui était malheureusement un peu vrai, mais ce qui aurait dû être une raison de plus de ne pas ajouter à la faiblesse de ce gouvernement.

Deux ou trois coups d’état successifs tuèrent l’opposition dans la chambre. Elle ressuscita aussitôt dans le pays à l’état de conspiration. Outre les députés éliminés, il y avait dans cette conspiration ce qu’on trouve dans toutes, des vieillards de vingt ans et des jeunes gens de cinquante, beaucoup de commis marchands, suffisamment d’avocats et quelques instituteurs révoqués groupés autour d’un ambitieux de faible portée, Hérard-Rivière, commandant d’artillerie, que soufflait un ambitieux de talent, Hérard-Dumesle. Elle éclata dans le sud par la publication de ce qu’on a nommé le manifeste Praslin. Les signataires de cette pièce, remarquablement écrite, déféraient le pouvoir exécutif à Hérard-Rivière, tout en nommant pour la forme un gouvernement provisoire dont l’ancien lieutenant de Rigaud, le vieux général Borgella, était le Dupont de l’Eure ; mais Borgeha, qu’on avait nommé de confiance, marcha furieux contre l’insurrection, ce qui compliqua un moment la lutte, lutte assez peu sanglante d’ailleurs, et où l’on échangea, pendant six semaines, plus de promotions que de coups de fusil. Il paraît qu’Hérard sut en faire plus que Boyer, apparemment parce qu’il savait moins que Boyer ce qu’elles coûtent, et celui-ci, cédant pour le moins autant au dégoût qui avait tué Pétion qu’aux progrès de la révolte, s’embarqua le 13 mars 1843 pour la Jamaïque, après avoir adressé ses adieux au pays dans un langage qui ne manquait pas de dignité.

Les deux Hérard restèrent à la tête du gouvernement le temps nécessaire pour expier les attaques qui leur en avaient ouvert la voie, c’est-à-dire pour doubler les cadres de l’état-major, qu’ils trouvaient naguère trop surchargés, pour reprendre en les aggravant les erremens financiers qu’ils étaient venus détruire, pour recommencer contre le pouvoir parlementaire et municipal, dont tout le tort était d’avoir pris au mot leurs récentes théories constitutionnelles, les coups d’état de Boyer[1], et enfin pour voir se séparer de la république la partie espagnole dont ils avaient caressé et exploité l’opposition. Mais il n’y a pas de 23 février sans lendemain, et le lendemain arriva.

Dans la dernière lutte du gouvernement mulâtre contre l’opposition mulâtre, les masses, se sentant cajolées de part et d’autre, étaient restées

  1. Avec un perfectionnement qui mérite d’être noté. Pour dissoudre la constituante et les comités municipaux, Hérard-Rivière signifia aux membres d’avoir à rejoindre immédiatement l’armée, « le premier devoir des représentans du peuple étant de défendre l’unité et l’indivisibilité de la république. »