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de Boyer et de presque tous les hommes de couleur. On eut donc encore ici ce triste et singulier spectacle d’un gouvernement réduit à frapper lui-même de stérilité la partie la plus féconde de son œuvre et de toute une classe se condamnant par peur à écarter la seule solution qui pût la relever de son oppression morale. Comme s’il était dit enfin que pas une des plus habiles combinaisons de Boyer n’échapperait à cet enchaînement de mécomptes, la partie espagnole, dont nous aurons dans la suite longuement à parler, regrettait de plus en plus son accession à la partie française : la majorité mulâtre de l’est, qui devait apporter à la minorité mulâtre de l’ouest un renfort décisif, ne lui avait ainsi apporté qu’une nouvelle cause de faiblesse.

Cependant Boyer avait pour lui un puissant auxiliaire : le temps. Vingt ans de calme avaient tellement adouci les mœurs, que le vol à main armée et le meurtre étaient devenus choses inouies. Le contact pacifique des deux castes amenait peu à peu leur fusion, et déjà le parti noir proprement dit, l’école de Toussaint, n’était plus qu’une faible minorité qui s’éclaircissait chaque jour, emportant avec elle dans la tombe le germe des sauvages susceptibilités devant lesquelles avait dû s’effacer l’action gouvernementale. Boyer et les hommes intelligens de son entourage, tant jaunes que noirs, entrevoyaient donc le moment où ils pourraient lancer le marteau sur ce bloc de barbarie sans en faire jaillir l’insurrection. Vain espoir encore ! à cette société qui se décomposait en naissant, il manquait un dernier dissolvant, et le tiers-parti parut.


II. – LA BOURGEOISIE JAUNE. – UN 24 FEVRIER NOIR. – GUERRIER, PIERROT, RICHE. – SOULOUQUE. – UN FAUTEUIL ENSORCELE.

On doit rendre cette justice aux Haïtiens que, s’ils font des constitutions absurdes, ils savent du moins les violer. Pétion lui-même, malgré ses illusions démocratiques, n’avait pas tardé à comprendre que plus l’autorité gouvernementale était entachée de faiblesse, plus il importait de ne pas la diviser, et que l’unité d’action et de direction en haut était le seul correctif possible de l’excessive tolérance que les préventions de caste lui imposaient en bas. Une fraction du sénat et derrière elle un parti assez nombreux, qui se rallia plus tard au schisme momentané de Rigaud, avaient voulu s’opposer à ces indispensables empiétemens : Pétion s’en débarrassa par, un 18 brumaire à l’africaine, et sut prouver, en n’abusant pas un seul instant de la dictature, qu’il l’exerçait, non par goût, mais par nécessité. Les récalcitrans finirent par s’en convaincre ; eux-mêmes, et la constitution révisée de 1816 lui accorda tout ce qu’il avait pris. Boyer put continuer en paix, durant vingt ans, le système centralisateur de Pétion ; mais, à