Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/790

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

provoqua le commissaire Polverel en essayant d’apporter quelques restrictions, d’ailleurs fort sages, à l’affranchissement, prouvèrent que la masse de la population noire comprenait tout le prix de la liberté. La plupart des bandes de Jean-François elles-mêmes, éclairées par Toussaint sur leurs véritables intérêts, suivirent, quelques mois après, la défection de celui-ci, et devinrent d’enthousiastes auxiliaires de la république.

Les deux classes opprimées restaient finalement maîtresses du terrain, et chacune d’elles avait apporté un concours décisif à la victoire commune. Les jaunes, en ouvrant la brèche du préjugé de couleur, avaient frayé la voie aux noirs, et c’est grace à leurs auxiliaires noirs que les jaunes à leur tour n’avaient pas échoué dans leur seconde levée de boucliers contre les blancs[1]. Il n’était pas jusqu’au souvenir de leur antagonisme partiel qui ne fût devenu, pour les anciens et les nouveaux libres, un motif de reconnaissance mutuelle et d’union, car chaque caste avait servi les intérêts de l’autre en la combattant. Sans l’appui donné par les nègres du nord aux factions blanches, les agens de la métropole n’auraient pas été amenés, pour tenir tête à ce surcroît de danger, à s’appuyer de leur côté sur les anciens libres, à les grandir, à personnifier tour à tour en eux l’influence française et le triomphe de cette influence. Sans l’appui donné par les anciens libres à la métropole contre l’insurrection noire et ses instigateurs blancs, Saint-Domingue serait devenu la proie des indépendans qui appelaient l’Anglais et des contre-révolutionnaires qui appelaient l’Espagnol, c’est-à-dire de deux partis et de deux pays également hostiles à l’émancipation. Supprimez le double rôle des noirs, et de deux choses l’une, ou les jaunes sont exterminés, ou ils restent, même après leur réhabilitation

  1. Sans compter la garnison européenne, les blancs étaient, vis-à-vis des affranchis, dans la proportion de dix à sept. Ils concentraient en outre, au début de la lutte, dans leurs mains, presque tous les moyens d’attaque et de défense.