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que le frère et la soeur. L’un des deux arbres est mort : c’est celui qui porte leurs noms, comme si le couteau de lord Byron y avait inoculé un germe de mort prématurée. Singuliers rapprochemens : un peu après cette visite suprême, lord Byron, à la veille de son départ, disait à Augusta, dans des vers délicieux, les derniers qu’il ait écrits en Angleterre : « Tu es restée debout, pareille à un arbre aimable demeuré ferme sur son tronc, et qui, doucement penché, balance ses branches fidèles au-dessus d’un tombeau. »

Oui, l’arbre aimable est resté debout ; mais son feuillage amaigri ne suffit plus pour cacher la nudité de son compagnon.

Le paysage aux alentours de Newstead est charmant. Une pente douce descend à travers des bois jusqu’au fond du vallon où l’abbaye est bâtie. « Elle est peut-être un peu bas, dit le poète ; mais les moines ont trouvé bon d’avoir la colline derrière eux pour abriter leur dévotion contre le vent[1]. » Autrefois le parc de Newstead nourrissait deux mille six cents têtes de daims ; on y comptait par milliers les beaux chênes. Aujourd’hui les défrichemens ont éclairci les bois et mis des champs à la place des clairières, et des fermes à la place des rendez-vous de chasse ; le bétail aristocratique a été chassé par le bétail agricole, et, en fait de gibier, il n’y a guère que des lapins ; ils y sont innombrables ; on en voit sortir de dessous chaque touffe de fougère ; c’est, dit-on, un des produits du domaine.

La seule chose qui reste de l’église abbatiale, la façade, est citée parmi les plus belles ruines de l’Angleterre ; mais de la nef, voûte, piliers, murailles, tout a croulé, tout a disparu. Le pavé de l’église est maintenant une pièce de gazon, et la voûte, le jour que nous visitâmes le manoir, était un beau ciel pommelé du mois de juillet. Reste donc seulement ce pan de mur avec une belle fenêtre sans vitraux et le cintre en ogive qui formait la porte d’entrée. Au-dessus de la fenêtre sont douze niches vides, et au-dessus de ces niches, tout près du faîte, une niche plus grande qui a gardé sa statue : c’est celle de la Vierge, à laquelle l’édifice était consacré ; elle y est intacte avec son fils dans ses bras bénis. « Épargnée, dit le poète, par un hasard, quand tout le reste était dépouillé, elle semble avoir fait une terre sainte de tout ce qui est en bas. » Curieuse réflexion, qu’on ne s’attend guère à trouver dans Don Juan ! Il est vrai que le poète en a quelque embarras : « C’est peut-être, ajoute-t-il, de la superstition ; mais les plus faibles débris d’un lieu qui fut consacré ont le privilège d’éveiller de religieuses pensées[2]. »

Dans la suite de cette description, l’esprit fort ne gêne plus le poète

  1. Don Juan, chant XIII, 55.
  2. Ibid., chant XIII, st. 61, 62.