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luttes, des épreuves, des troubles profonds, des embarras de toute espèce de la civilisation universelle : crises sociales, fusion laborieuse des races, chocs des intérêts, rivalités immortelles des nationalités et des génies divers !

Ce n’est pas sur un point du monde en effet et sous une forme unique que se déroule ce drame mystérieux et sans dénoùment prochain. Le problème est partout où il y a des hommes, sous toutes les latitudes, et ne fait que s’étendre et se compliquer à mesure que la facilité des communications s’accroît ; il est dans l’Inde, où le génie anglo-saxon consume sa prodigieuse énergie à conquérir matériellement une race qui résiste à toute assimilation morale ; il est à nos portes, dans cette Afrique où vous voyez l’héroïsme des vaincus égaler l’héroïsme des vainqueurs, en jaillissant périodiquement de ses foyers inconnus. Franchissez l’Océan, — il est dans ces régions du sud de l’Amérique où il y a des habitudes, des passions, des instincts de race, mais point de nationalités compactes encore, et où notre présence ne se manifeste trop souvent que par des négociations sans effet, des expéditions sans prévoyance et des abandons sans dignité. — Jetez les yeux autour de vous : il y a des peuples qui se forment à l’heure où nous sommes, il en est d’autres qui tendent à disparaître, qui luttent contre leur destin, et ne peuvent ni vivre ni mourir ; des contrées barbares s’éclairent et s’adoucissent, tandis que la lumière pâlit à d’autres horizons et que les jours de certains empires sont comptés. La Grèce et l’Egypte, démembremens d’un de ces empires sans avenir, peuvent bien aussi être rangés, dans la mesure de leurs destinées, au nombre des théâtres où s’agite ce même problème de la civilisation contemporaine, et l’Europe libre, qui croyait l’avoir résolu dans sa science et dans sa sagesse, le voit se relever pour elle aussi redoutable qu’il fut jamais, et sous des aspects qu’elle n’avait point osé prévoir.

Les phénomènes qui caractérisent ce mouvement immense du monde contemporain peuvent sans doute être explorés avec fruit par les touristes savans, par les esprits politiques, par les économistes voyageurs : ils peuvent être l’objet d’investigations utiles ou d’éludés sérieuses et éloquentes ; mais n’est-il point aussi un côté de ces phénomènes à la peinture duquel se trouve merveilleusement, naturellement propre ce génie original et vif d’observation que les femmes ont reçu comme une qualité distinctive ? C’est le côté des mœurs, des usages, de ces mille nuances qui composent la physionomie de chaque société ; c’est le côté intime, domestique de la vie nationale dans les divers pays. Les femmes voient souvent ce que nous n’apercevons pas ; elles excellent à saisir ce qui est presque insaisissable pour le regard de l’homme, elles pénètrent sous tous les voiles avec une hardiesse familière, elles s’informent avec curiosité, jugent d’un coup d’œil prompt, sentent vivement et reproduisent leurs sensations avec une spontanéité qui ne peut parvenir à se contraindre. Ces dons heureux, peu de femmes françaises, il est vrai, ont eu jusqu’ici à les appliquer à des relations de voyage. Il n’est point impossible pourtant que, sous la pression des circonstances sociales, quelques-unes n’arrivent à contracter l’habitude des excursions plus lointaines, et ne cèdent plus souvent au désir de raconter ce qu’elles auront vu. C’est une tendance qui se fait jour encore timidement, et dont Mme de Gasparin est un récent exemple. Pour réussir d’ailleurs dans le nouveau domaine offert à leur activité, qu’ont à luire les femmes de notre pays, si ce n’est à rester ce qu’elles ont été dans plus d’un genre où elles ont