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Voici ce qu’il en dit dans une description de l’abbaye, qu’il ne nomme pas, mais que ses vers rendent visible : « Devant la maison s’étendait un lac aux claires eaux, aussi large que profond et transparent, sans cesse renouvelé par les eaux d’une rivière, qui traçait lentement son cours à travers l’onde plus calme qui l’entourait. L’oiseau sauvage ; faisait son nid dans la fougère et les joncs, et couvait dans son lit humide. Les bois se penchaient sur ses bords et tenaient leurs têtes ondoyantes fixées sur les flots[1]. »

Le texte anglais est charmant ; mais ce n’est que de la description, le sentiment y manque. Byron écrivait ces vers à un an de sa mort ; il était bien vieux de cœur il avait trente-six ans ! Aussi j’aime mieux ceux qu’il adressait à sa sœur huit ans auparavant, dans les premiers jours de son exil, sur les bords du lac de Genève, qui lui rappelait le lac paternel. « Je t’ai fait souvenir de ce cher lac qui fut le nôtre, près de la maison qui désormais ne peut plus être la mienne. Le Léman est beau ; mais ne crois pas que j’aie perdu le souvenir d’un plus cher rivage. Le temps peut faire de tristes ruines dans ma mémoire, avant que ce lac ou toi vous disparaissiez de devant mes yeux, quoique, comme toutes les choses que j’ai aimées, vous soyez ou perdus pour moi ou loin de moi[2]. » Ces vers sont touchans, mais non les plus touchans de la pièce, qui est écrite toute de sentiment. Chose à remarquer à la gloire de lord Byron, ses poésies domestiques sont parmi les meilleures qu’il ait composées. L’adieu à sa femme, Fare thee well, est une plainte déchirante. C’est comme une protestation du bien contre le mal dans cet esprit à la fois superbe et sensé, qui se plaignait d’avoir reçu avec la vie quelque chose qui en corrompait le bienfait, « une destinée ou une volonté hors des droites voies, » fate or will, that walk’d astray. Mme de Staël eût voulu, disait-elle, être lady Byron pour inspirer de tels vers. Peut-être l’honneur eût-il été payé trop cher ; mais quelle femme n’eût voulu être cette douce sœur à qui s’adressent les vers sur le lac, et d’autres où la douceur d’Augusta semble être passée dans l’ame du poète et y avoir suspendu tous les combats ?

Le seul souvenir touchant que Byron ait laissé à Newstead est celui d’une dernière promenade faite dans le petit bois avec cette sœur, quelques jours avant de quitter l’Angleterre. Ils avaient remarqué, sur le bord d’une allée couverte, deux hêtres jumeaux ; ils les choisirent comme symbole de leur affection. On distingue encore sur l’écorce de l’un de ces arbres leurs noms que lord Byron y grava ce jour-là, en souvenir de cette visite d’adieu. Ces hêtres ont eu la même destinée

  1. Don Juan, chant XIII.
  2. Epistle to Augusta.