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dissimulé son but, qui est d’empiéter le plus possible sur l’indépendance du catholicisme arménien. Une société s’était formée pour l’éducation des enfans c’est une question de la plus haute gravité pour les populations arméniennes, car on sait le besoin d’agir qui les possède et les facultés très grandes que les capitaux immenses amassés par quelques-uns leur offrent pour prendre une position honorable et influente dans les affaires de l’empire ottoman. Dans toute la force du mot, les Arméniens sont avides de science. En même temps, fidèles à leurs traditions, ils sont préoccupés de conserver un caractère national à l’instruction que les enfans cherchent dans les écoles du pays ou au dehors. Pour être plus sûre que les écoles ne perdront point ce caractère, la société dont il est question a pris le soin de les surveiller en les encourageant. L’existence de cette société, formée pourtant de prêtres aussi bien que de laïques, le but qu’elle se propose, ont causé au primat des inquiétudes telles qu’il n’a rien négligé pour la perdre. Le peuple arménien en grande majorité a embrassé la cause de la société d’éducation. Dès-lors le primat, calculant mal les conséquences de sa conduite, semble avoir pris à tâche de blesser en toute occasion le sentiment national. Soit qu’il ait reçu de Rome des instructions imprudentes, soit qu’il ait dépassé les intentions de la Propagande, il a voulu récemment sacrer plusieurs évêques connus pour partager son zèle et suspects aux populations. N’ayant pu le faire en plein jour, à l’heure ordinaire de ces grandes cérémonies, parce que la force l’en eût empêché, il a profité de la nuit et de la solitude, tenant ainsi à avoir le dernier mot, au risque de compromettre follement son caractère et celui de Rome, qui passe pour l’appuyer. Il est encore permis d’espérer que la question, aujourd’hui soumise à la cour de Rome, recevra la solution la plus modérée et la plus prudente ; que si, par malheur, il en arrivait autrement, ce serait un coup mortel porté à l’influence latine chez les Arméniens, déjà si peu disposés à la reconnaître.

ALEXANDRE THOMAS.




REVUE LITTERAIRE.

JOURNAL D’UN VOYAGE AU LEVANT, par l’auteur du Mariage au pont de vue chrétien[1]. — Voyager n’est point assurément la plus vive des passions qui puisse entrer dans l’ame d’une Française. Ce n’est parmi nous ni un instinct de race, ni un goût venant à l’appui d’une politique, ni une habitude dérivant des tendances sociales. Si vous voulez voir se lever toute une armée de hardies voyageuses, c’est l’Angleterre qu’il faut observer. Depuis cette spirituelle lady Montagu, qui visitait et décrivait la Turquie au commencement du XVIIIe siècle, combien d’héroïnes de cet esprit d’exploration universelle propre à nos voisins ! Ouvrez les livres dus à cet esprit : ils révèlent la présence des femmes anglaises sur toutes les latitudes, dans tous les incidens de cette gigantesque observation du globe tentée par l’Angleterre. Ces singulières touristes bravent aisément les fatigues et les épreuves périlleuses des climats. Tandis que les unes bornent leurs excursions à l’Italie, à la Suisse ou à la France, d’autres, plus ardentes et plus résolues, cinglent vers l’Océan indien ou vers l’Amérique

  1. 2 vol. in-12, chez Ducloux, 2, rue Tronchet.