Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/754

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourquoi nous disons qu’on respire dans ce discours du premier magistrat de la république le parfum d’une bonne conscience ; cela tient à ce qu’il a fait un ferme propos au dedans de lui-même.

Ce ferme propos lui aura donné l’admirable netteté avec laquelle il apprécie sa position et celle de la France. Imaginez un instant par une hypothèse dorénavant sans raison, imaginez que le message eût évoqué si discrètement que ce fût et la grande mémoire impériale et le fameux sénatus-consulte qui règle l’ordre de succession dans la maison des Bonaparte : aussitôt quel surcroît à la confusion de nos idées, quelle ombre encore épaissie sur notre état présent, quelle difficulté de plus pour en avoir le mot ! Le mot au contraire, M. le président de la république n’hésite pas à nous le livrer, parce qu’après tout mieux vaut encore regarder en face et d’avance le mauvais quart d’heure qui nous attend un jour ou l’autre, dès qu’il est convenu entre tous que nul, pour y échapper, ne s’avisera de courir le risque non moins périlleux des voies souterraines et des portes de derrière. Le mot de la situation, ainsi dégagée de ses ambages par cette bonne foi dont le président a montré l’exemple, le mot, est bien simple : c’est qu’on a eu beau parler et reparler de solutions, solutions d’une manière ou d’une autre, mais toujours solutions, — ce qui veut dire en termes plus précis expédiens sommaires, guérisons à bref délai, médecines héroïques, — personne n’a de ces solutions-là, personne n’est l’opérateur infaillible qui doit, rien qu’en soufflant, nous envoyer jouer à la fossette, — et le président lui-même pas plus que personne.

On pouvait croire que ce mot lâché si hardiment et d’un si fier sang-froid aurait été, pour beaucoup de gens, une déception peu agréable. Le nombre n’est pas mince de ceux qui se couchaient tous les soirs avec la douce illusion qu’un matin, en s’éveillant, ils trouveraient la patrie sauvée, sauvée par un drapeau ou par l’autre, qu’importe ? mais sauvée du moins sans qu’on eût beaucoup plus à faire qu’à déployer le drapeau. Ceux-ci voyaient déjà dans la main du neveu de l’empereur l’épée de son oncle, une épée magique, devant laquelle tout à la minute se fût prosterné, si peu qu’on l’eût seulement tirée du fourreau. Ceux-là rêvaient de Monck, et se prenaient bonnement pour d’adroits enjôleurs, quand ils offraient au général de leur prédilection ce rôle ingrat d’un très médiocre patriote et d’un très douteux royaliste ; ils n’avaient qu’à frapper du pied sur la terre, Monck allait en sortir. À tous ces conspirateurs in petto, qui attendaient patiemment que leur complot s’exécutât de lui seul, à tous ces effarés qui, par ennui d’un mal chronique, se souhaitaient un mal aigu et se confiaient dans cet espoir, le président dit aussi haut que possible : « Sachons faire à la patrie le sacrifice de nos espérances… Quelles que puissent être les solutions de l’avenir, entendons-nous, afin que ce ne soit jamais la passion, la surprise ou la violence qui décide du sort d’une grande nation ! » Ce qui signifie, si nous ne nous trompons : Le tempérament de la France n’est plus aux coups de main, pas même aux coups de main de bonne intention ; il faut se priver des bons pour ne pas autoriser les mauvais. Il faut apprendre une autre vie publique que cette vie d’aventures où l’on dépense toute son énergie en un effort d’exaspération après lequel on retombe épuisé. Il faut apprendre la véritable condition du citoyen, qui est de restaurer ou de maintenir la cité pas à pas, au jour le jour, avec ces solides vertus qui ne reculent jamais. Il