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cela nous repose et nous touche, quand on veut bien user avec nous d’un langage naturel qui dise les choses comme elles sont, et nous mette en présence de la réalité toute seule. La réalité est plus puissante aujourd’hui sur le commun des esprits que les prestiges eux-mêmes, parce que tous les prestiges sont usés pour nos imaginations. La réalité, si prosaïque ou si triste qu’elle soit, a du moins cet avantage sur les prestiges, que, tandis qu’il suffit, pour exploiter les uns, des ressources du charlatanisme, il faut, pour exposer l’autre sans s’y embarrasser, toute la droiture d’une bonne conscience.

Oui, si nous essayions de juger d’un mot le message présidentiel, ce serait celui-là que nous emploierions ; nous dirions volontiers que le message est l’œuvre d’une bonne conscience, et c’est par là, c’est parce que ce caractère a frappé tout le monde, que le message obtient un si merveilleux succès. Il n’y a point de gouvernement qui ne commette des fautes. Autour des régions d’où l’on gouverne, il est une atmosphère spéciale qui ne permet pas de communiquer aisément avec le dehors, et qui cause ainsi mille erreurs de perspective. On ne tient pas toujours assez de compte de ce milieu grossissant à travers lequel passe tout ce qu’on fait, et l’on ne se figure pas les proportions que tout peut prendre au passage. Vous vous comportiez de votre mieux dans l’innocence de votre cœur, vous étiez si sûr de votre vertu, que vous ne craigniez pas d’être vertueux jusqu’à la témérité : eh bien ! ces témérités de l’innocence vont vous être imputées à crime dans le lointain d’où les spectateurs vous regardent ! Évidemment les spectateurs se trompent, mais vous n’en avez pas un moins grand tort de n’avoir point prévu qu’ils devaient se tromper. — S’il s’est rencontré quelque tort comme celui-là dans les détails de la conduite que M. le président de la république a menée depuis trois mois, il faut avouer que le message couvre tout bien largement. Le calme dont il est empreint, la vigueur avec laquelle il accuse un sens très pratique de la situation, répondent, et de reste, à ceux qui s’étaient offusqués trop vite de certaines démonstrations où l’on pouvait, il est vrai, soupçonner une autre tendance, la tendance au prestige. Le prestige, encore une fois, a fini son règne ; chivalry is over. Le plus fatal de tous les signes qui attestent désormais la décrépitude d’un parti, qu’est-ce, en vérité, sinon de recourir quand même au prestige ? Les hommes n’ont pas cessé d’être des hommes, et la Providence ne leur a pas retiré le don qu’elle leur a fait d’être naïfs par endroits ; mais la naïveté change d’objet avec les siècles, et l’erreur des partis déchus, qui ne sauraient se renouveler comme elle, est justement de toujours lui offrir, pour qu’elle les adore toujours, des reliques qui ne sont plus que des défroques. Chanter Vive Henri IV ou chanter le beau Dunois, c’est ce qu’on peut appeler viser au prestige, c’est chercher la naïveté où elle n’est plus, et provoquer l’ironie qui vient à la place. Il y a beaucoup de choses respectables et précieuses comme monumens de piété domestique, comme souvenirs d’histoire nationale, qui n’ont plus le même prix et n’attirent plus le même respect, pour peu que la politique veuille les utiliser sous forme de prestige sentimental. Le mal, dans les revues de Satory, c’était d’induire les esprits susceptibles à penser qu’elles procédaient de la politique du prestige. Le bon, le très bon résultat du message, ç’a été de rompre si solennellement avec cette politique, qu’il soit désormais inadmissible que quelqu’un dans l’état puisse en tâter, ou qu’on puisse la prêter à quelqu’un. Voilà