Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la façade de l’église, pour le monastère, pour le réfectoire, pour le cloître resté intact et sa fontaine. Ainsi, dans le siècle dernier, l’ami de Mme du Deffant, Horace Walpole, visitait Newstead et en louait la beauté ; il disait moins de bien du propriétaire d’alors, William Byron, l’oncle du poète, personnage bizarre, dur, vindicatif, dont les duels ressemblaient fort à des guet-apens, grand dépensier et qui réparait les brêches de sa fortune en faisant abattre tous les bois de son domaine. « Il paie ses dettes en vieux chênes, dit Walpole dans une lettre piquante ; on en a coupé pour 5,000 livres tout près de la maison. Par compensation, il a bâti deux petits fortins (baby forts), afin de nous indemniser en forteresses du dommage qu’il cause à notre marine, et il a planté une allée de pins d’Écosse qui ressemblent à de petits paysans en vieille livrée de famille un jour de fête[1]. » Walpole trouve encore à se moquer des fenêtres « dont les rideaux neufs ont l’air d’avoir été coupés par un tailleur vénitien. » Il ne voyait dans Newstead que la demeure d’une famille noble et des restes d’architecture gothique d’une médiocre valeur de son temps. « Il ne pouvait pas voir, remarque un critique anglais, cette magique beauté que la gloire répand sur la demeure d’un homme de génie et qui revêt comme d’un manteau les tourelles de Newstead. » Aujourd’hui, ce qui attire des visiteurs à la vieille abbaye, c’est le dernier Byron qui l’habita, c’est le poète. Il s’empare de vous à l’arrivée, il vous accompagne partout, il vous fait les honneurs de sa mélancolique demeure, hôte invisible, mais plus présent que ceux qui vous y reçoivent en personne.

On rend d’abord justice à la manière dont Newstead a été restauré. Le propriétaire actuel, le colonel Wildman, l’avait acheté en ruines. 300,000 livres sterling ont été dépensées à le réparer. Le colonel a exécuté cette restauration sous l’influence des deux plus nobles sortes de piété après celle qui a Dieu pour objet, la piété envers un homme de génie et la piété pour les ruines. Ami de lord Byron, il n’est devenu l’acquéreur de Newstead que pour y instituer le culte domestique du : poète. Grace à lui, tout ce qui peut rendre plus sensible la magique beauté de l’édifice est à l’abri des injures du temps : c’est tout ce qui fut proprement l’habitation de lord Byron. Le reste semble n’avoir été réparé et consolidé que comme un chaton de bague pour mieux enchâsser le joyau.

Par une prescription de très bon goût, on vous conduit tout d’abord à l’appartement qu’occupa lord Byron. La vue de ces pièces, qui semblent l’attendre, excite plus de curiosité que d’émotion. Le souvenir de lord Byron n’est pas de ceux qui attendrissent. L’attrait de ce qui fut son habitation est celui de quelque demeure mystérieuse où il s’est

  1. Correspondance d’Horace Walpole.