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Lamartine ou Michelet, viendront se briser contre ce simple fait, que les jacobins n’organisèrent et n’entretinrent la terreur que pour conquérir le pouvoir en arrachant à la représentation nationale son libre arbitre. Robespierre, que son sang-froid rendit maître des destinées de son parti, suivit contre l’assemblée cette politique de compression avec une persévérance qui fut la première, pour ne pas dire la seule de ses qualités d’homme d’état. S’il envoya les hébertistes à l’échafaud, ce ne fut pas à cause des scandales de leurs doctrines et de leur vie, mais tout simplement parce qu’ils avaient préparé aux Cordeliers une insurrection contre le comité de salut public. S’il égorgea Danton après l’avoir défendu avec chaleur aux Jacobins quelques semaines auparavant, ce n’est pas parce que Danton avait pillé en Belgique et qu’il affichait un athéisme éhonté, mais parce que le ministre du 2 septembre avait en ce moment quelques velléités de sortir de sa léthargie sensuelle, pour revendiquer sa part dans l’exploitation de la révolution qu’il avait faite. Robespierre, il est vrai, n’aimait pas les athées, parce qu’il les estimait ingouvernables, et les fumées de l’orgueil étouffaient chez lui celles de la volupté ; mais le spiritualisme de cet homme, étranger à toutes les effusions du cœur, avait le caractère d’un calcul tout politique. L’insolent rhéteur voulait rattacher au ciel le premier anneau de la chaîne forgée pour sa patrie ; il trouvait un auxiliaire encore plus sûr dans Dieu que dans le bourreau, et sa foi devint la sanction de sa tyrannie ; le parti jacobin, quoi qu’on en ait pu dire, resta d’ailleurs entièrement étranger à ces réminiscences philosophiques du Vicaire savoyard, et, sitôt que Robespierre eût disparu, le jacobinisme alla se confondre avec l’hébertisme ; qui avait survécu à ceux dont il emprunta le nom. Sous la nouvelle majorité thermidorienne, la montagne, disputant tour à tour à la justice du pays les têtes de Fouquier-Tinville, de Carier ou de Lebon, ne s’agita plus que pour protéger ou la mémoire ou les jours des monstres qui venaient d’épouvanter la terre. Ce fut là le seul travail du parti jacobin jusqu’aux journées de prairial, où il dut se transformer dans sa défaite. Bientôt après cette œuvre fut reprise sous des formes différentes, mais dans une pensée identique, et l’on vit les fiers montagnards s’entendre avec les pourris du directoire pour essayer, au 18 fructidor, une nouvelle et plus terne édition de leur système, en insultant une dernière fois à la conscience et à la souveraineté du pays.

Ainsi s’acheva l’épopée magnifique ouverte à Versailles le 5 mai 1789, et les classes moyennes furent vaincues aussi complètement, que l’ancienne aristocratie nobiliaire. Durant la crise à laquelle elle avait préparé l’opinion depuis cinquante ans, la bourgeoisie déploya une foi profonde dans sa propre force et la justice de sa cause sa force morale d’agression était irrésistible en effet, et sa cause était juste, car elle exprimait