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un grand spectacle. Ce n’était en effet ni un pouvoir dictatorial, ni une contrainte irrésistible qui jetaient dans ses armées d’innombrables volontaires ; ce n’était pas la loi qui obligeait les citoyens à porter leur or, ni les jeunes filles leurs bijoux sur des autels ceints de guirlandes et décorés de fleurs : tout ce peuple agissait dans la pleine possession de sa liberté morale ; l’ame de la patrie circulait dans cette foule, et un enthousiasme puissant faisait battre toutes ces poitrines. Il ne fallait pas d’armée et de comités révolutionnaires pour pousser alors les recrues aux frontières, pas de représentans en mission pour terrifier les généraux dans leur propre camp, pas d’échafaud dressé sur les champs de bataille pour imposer la victoire. À la campagne suivante, la scène change. L’ère de la terreur succède à celle de la confiance ; les levées en masse remplacent les enrôlemens volontaires, et les réquisitions forcées les dons patriotiques ; les soldats doivent, sous peine de mort, quitter leurs foyers pour aller combattre, et les généraux vaincre à l’heure dite sous peine de porter leur tête aux tyrans.

Ce système, appliqué avec un sang-froid et une cruauté sans exemple, s’appuyant à l’intérieur sur une armée révolutionnaire qui mettait le meurtre et le pillage à l’ordre du jour, produisit sans nul doute des résultats prodigieux, car, pour sauver sa vie, la nation abdiqua un moment aux mains de ses oppresseurs. L’incendie de la Vendée, les noyades de Nantes, les mitraillades de Lyon, de Toulon, de Bordeaux, les égorgemens juridiques de Paris, jetèrent aux frontières tous les hommes qui ne voulaient être ni assassins ni assassinés, et à l’héroïsme de l’enthousiasme succéda celui du désespoir. Cependant, pour apprécier le service que le parti jacobin rendit à la France en assurant par de tels moyens la libération du territoire, il faut d’abord se rappeler que lui seul avait provoqué les périls contre lesquels il dut lutter avec de pareilles armes ; il avait fallu en effet le meurtre de Louis XVI pour contraindre l’Europe à organiser la seconde coalition après l’éclatant échec de la première ; il avait fallu arracher du sein de la convention vingt-deux députés, bientôt suivis de soixante-treize de leurs collègues, pour soulever les départemens. À l’Europe, qui désirait la paix et le témoignait par des ouvertures secrètes, la montagne avait répondu par un défi dont elle avait mesuré toutes les conséquences ; à la bourgeoisie, qui acceptait la république sous la seule réserve de quelque respect pour les principes élémentaires du droit et de la justice, elle avait répondu par un monstrueux attentat contre la souveraineté nationale. Comment donc les apologistes des montagnards viendraient-ils aujourd’hui arguer de la guerre étrangère et de la guerre civile systématiquement provoquées, pour dégager la mémoire de ces hommes de la réprobation que la conscience des siècles fera peser sur elle ? Une