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terrestre, elle revendiqua pour l’état des droits devenus, depuis la parole qui a transformé le monde, l’inaliénable apanage de l’homme privé dans le domaine de la conscience et de la famille. Sous le prétexte de substituer le sentiment humanitaire au sentiment individuel et la doctrine du dévouement à celle de l’intérêt, de remplacer le culte stérile de la liberté par les inspirations d’une fraternité ardente, l’école jacobine fait disparaître l’homme devant la patrie ; en anéantissant jusqu’aux distinctions naturelles par l’égalité absolue qu’elle proclame entre les êtres les plus inégalement doués, elle fait tomber d’avance toutes les barrières contre le despotisme ; puis, en attribuant à la nation une mission progressive qui, sous des formes hiératiques, ne voile au fond que le matérialisme le plus grossier, elle consacre et sanctifie la tyrannie qui, pour nos pères, s’est appelée la terreur, et qui, pour nous, se nommerait le socialisme.

Le principe de gouvernement proclamé en 89, et qui jusqu’à 1848 tendait à s’établir pacifiquement dans toute l’Europe, c’est que les droits politiques sont distincts des droits naturels, les uns appartenant à tous les hommes par le seul fait de leur naissance, les autres n’étant départis que dans l’intérêt de la société qui les confère. De là les classifications établies ou maintenues, les différences introduites ou respectées dans l’éducation, dans les habitudes et dans les fortunes ; de là la limitation des droits électoraux en raison des intérêts qu’on représente ou de la capacité dont on possède le signe légal. Ces inégalités, oppressives lorsqu’elles ne disparaissent pas devant le travail et le talent, deviennent, selon l’école constitutionnelle, l’instrument d’une activité féconde et d’un progrès continu, lorsque l’état élève le niveau des droits avec celui des richesses et des intelligences. Ce régime provoque nécessairement l’inégalité dans l’ordre politique, comme la concurrence dans l’ordre industriel, et la concurrence engendre, il est trop vrai, des déceptions nombreuses ; mais, à moins de regretter, pour le riche qui mésuse de sa richesse ou pour l’industriel qui se trompe dans ses spéculations, l’infaillibilité de l’abeille ou l’innocence du castor, à moins de préférer l’instinct au libre arbitre et l’organisme à la pensée, il faut reconnaître que cet état de choses sera seul possible sur cette terre, tant que les lois fondamentales de l’humanité n’auront pas été changées, tant que celle-ci persistera à distinguer le droit de l’idiot du droit de l’homme de génie.

Or, c’est cette différence-là dont les jacobins et leurs continuateurs nient radicalement la réalité. Prétendant qu’il est inique de mesurer les besoins sur les facultés et les avantages sociaux sur les aptitudes natives, ils soutiennent que celles-ci créent des devoirs au lieu de constituer des droits, et que toutes les individualités humaines sont, au point de vue social, essentiellement égales. De là le suffrage universel