Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/70

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pauvre femme ont dû y mourir, et qu’elle y a sans doute plus d’une fois pleuré sa mort ! La salle où est conservé ce lit est meublée comme au temps d’Élisabeth : il y a là des curiosités pour tout un jour ; mais que peut-on regarder après ce lit funèbre d’une femme qui paya si cher ses fautes, et dont les graces ont à jamais désarmé l’histoire ? Un moment reine de France, elle eut le pressentiment que sa vraie patrie lui serait moins hospitalière que sa patrie adoptive, et l’adieu si touchant qu’elle fit à la France dut plus d’une fois lui revenir au cœur sur ce chevet où la captivité et l’insomnie firent pousser avant l’âge les premiers cheveux blancs qui se mêlèrent aux tresses brunes de sa tête charmante.

Hardwicke-Hall, le château actuel, fut bâti par la fille de ce John Hardwicke d’Hardwicke. Il est de la fin du XVIe siècle. La façade n’est qu’une vaste fenêtre à divers compartimens, où ce qui est mur ne sert qu’à attacher les vitres, et tient la même place que les montans de bois dans une serre. De là ce proverbe populaire :

Hardwicke-Hall, plus fenêtres que murailles[1].

Le premier effet en est éblouissant. Quand nous arrivâmes devant la maison, après avoir traversé le parc entre plusieurs troupeaux de daims, le soleil faisait jaillir mille éclairs de ces fenêtres. C’est une maison devant laquelle il faut baisser les yeux. L’architecture n’en est peut-être pas correcte, et n’est certainement d’aucune école ; mais c’est une des plus splendides fantaisies qu’on puisse voir. La dame fondatrice n’avait pas si grand tort d’aimer le soleil et de le mettre tout entier dans sa maison. Derrière cette belle serre-chaude, elle put vieillir jusqu’à l’âge de quatre-vingt-sept ans ; encore ne mourut-elle, comme on le verra, que par miracle. Les yeux plus faibles de ses descendans n’ont pas pu supporter cette insolation. Quelques fenêtres ont été bouchées ou rétrécies ; mais les principales pièces ont conservé toutes leurs ouvertures, et la lumière qui les inonde est plus vive que celle du dehors, parce qu’elle est à la fois directe et réverbérée. D’immenses rideaux suspendus à des tringles de l’époque tempèrent cette lumière qui consume les couleurs et pâlit à la longue tous les objets.

La façade regarde le couchant. Devant la maison s’étend un parterre, tracé selon la mode du temps. Des plates-bandes bordées de buis nain y figurent des lettres et des chiffres. En traversant la cour pavée qui coupe ce parterre en deux, on ne voit à droite et à gauche que des groupes de fleurs singulièrement disposées, mais si abondantes et si fraîches, que le tableau empêche de remarquer l’encadrement. Du haut de la maison, on lit distinctement les initiales d’Élisabeth.

  1. Hardwicke-Hall, more glass than wall.