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attendez-nous ici. Vite, vite, Albino, jetez-lui la longe de votre cheval de main.

Je pris les deux laisses. Albino et OEil-Double se précipitèrent le long de la côte comme deux rochers qui bondissent sur une pente rapide, en répétant de toutes leurs forces les mots : Trahison ! trahison ! Je les perdis bientôt de vue dans un des détours qu’il leur fallait faire pour gagner la plaine. Je restai seul fort empêché de mes deux chevaux en main, et le cœur si troublé, qu’un nuage semblait me cacher comme un voile ce qui se passait au-dessous de moi. Les prédictions sinistres du vieillard, l’angoisse que me faisait éprouver le danger que couraient les chefs mexicains, tout contribuait à me serrer affreusement le cœur.

En cet instant, les six dragons de l’escorte d’Hidalgo tournèrent la colline ; en apercevant ce gros de cavalerie, ils hésitèrent un instant, puis avancèrent. En un clin d’œil, ils furent entourés, désarmés et disséminés parmi leurs ennemis, sans avoir pu pousser un cri d’alarme. Les soixante cavaliers qui venaient après eux subirent le même sort, car, après avoir hésité comme les premiers, ils s’avancèrent rassurés par l’aspect du colonel Elizondo, connu pour un chaud partisan de l’insurrection. Les pauvres diables ne soupçonnaient pas la trahison. Le colonel paraissait avoir environ trois cents hommes ; il en prit deux cents, et s’avança vers les voitures. C’en était fait des quatre généraux. Elizondo s’arrêta le chapeau à la main devant l’une des voitures, qui fit halte. Un homme en descendit. À sa soutane, à ses longs cheveux blancs, je reconnus Hidalgo, qui tendait amicalement la main au traître. Dès ce moment, je n’aperçus plus que quelques scènes isolées de cet horrible drame. Les troupes d’Elizondo firent une décharge générale de leurs carabines. Des faisceaux de lances entourèrent les voitures. Les quatre chefs étaient prisonniers. Une sueur froide mouillait mon front, et l’angoisse déchirait mon cœur.

Quand le nuage de poudre se fut un peu dissipé, j’aperçus de nouveau Elizondo à la portière d’une autre voiture. On dirigea un coup de feu contre lui ; mais le traître ne tomba pas. Un cavalier déchargea à son tour son pistolet contre la voiture, d’où je ne tardai pas à voir sortir un homme qu’à sa figure, à ses cheveux blonds et à la fierté de son maintien je reconnus pour Allende. Il tenait un jeune homme inanimé entre ses bras. J’ai su depuis que cette noble victime était son fils ! Hidalgo, Allende, Abasolo et Aldama furent contraints de monter à cheval ; je les vis disparaître avec ceux qui avaient soif de leur sang ; les voitures continuèrent à marcher, les unes vides, les autres portant des prisonniers d’un grade inférieur. Tout était consommé.

Je descendis de cheval, j’allai m’asseoir sur le revers de la route, et je laissai couler mes larmes. J’étais ainsi plongé dans une mortelle