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Wingfield, qui fut détruit dans la guerre du parlement contre Charles Ier ; celles de Newstead-Abbey, où se passa la jeunesse de lord Byron. Tout près de la limite du comté, dans le Derbyshire, le souvenir de la captivité de Marie Stuart prête un charme mélancolique aux restes du vieux château d’Hardwicke.

Les ruines de Wingfield couronnent une colline dont l’escarpement est déjà une rareté dans un paysage uni ou légèrement onduleux : ce sont les débris de ce qu’on appelle manor-house, un manoir fortifié, différent du château-fort, keep-donjon, qui servait à arrêter l’ennemi. Le manor-house était l’habitation de familles nobles, fortifiée seulement pour la sûreté contre un coup de main de partisans. Wingfield fut habité par William Peveril, fils naturel de Guillaume-le-Conquérant et ancêtre de ce Peveril du Peak, le héros d’un des plus agréables romans de Walter Scott. Les premières ruines datent de l’année 1446, et furent l’ouvrage d’un lord Cromwell, contemporain du roi Henri VI. Le manoir ainsi ébréché devint la propriété du fameux comte de Shrewsbury, le geôlier de Marie Stuart, et, si l’on en croyait certains embellisseurs de ruines, cette princesse y aurait passé quelques-unes des années de sa captivité. Pendant les guerres du parlement contre Charles Ier, Wingfield fut assiégé et pris par l’armée parlementaire. On y employa les plus puissans moyens de destruction. Des fouilles récentes ont fait découvrir, enfoncés à quelques pieds dans la terre, des boulets du poids de trente-deux livres. Le canon des parlementaires y a pourtant fait moins de mal que les derniers propriétaires, lesquels en ont démoli les murailles pour construire des bâtimens de ferme, sort ordinaire de la plupart des ruines, dont on peut dire, comme de celles de Rome, qu’elles sont plus l’œuvre des Barberini que des Barbari.

La principale tour est restée intacte. Bâtie sur la crête de la colline, elle regarde une immense étendue de pays. Combien d’aspects différens le paysage n’a-t-il pas revêtus depuis que Wingfield eut pour hôte le bâtard du Conquérant ! Aujourd’hui, au centre de cette contrée pacifique, la tour d’alarmes semble une ruine artificielle bâtie pour avoir une vue sur les environs. Les créneaux ne voient plus passer de gens de guerre. La paix a imprimé sa douce face sur tout ce pays. On entre dans le manoir à la suite des moutons de la ferme, revenant à l’étable après avoir brouté l’herbe abondante et fraîche qui croît à l’ombre de ses murs. Tandis que nous regardions du haut de la tour les vallons, les champs, les villages semés çà et là, un murmure sourd et vibrant se faisait entendre dans le lointain. Nous tournions la tête, et, à la sortie d’un bois, sur une ligne blanche, s’avançait en rampant, — sous le pavillon de la paix universelle, la noire banderole de fumée, — un convoi de chemin de fer. Au moyen-âge, on eût vu de la même