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substitué d’abord au principe de la société se vengeant du criminel celui de la société usant du droit de légitime défense, puisa ce principe, comme encore trop grossier, celui de la punition avec le pardon au bout ; l’humanité qui, dans le régime des hôpitaux, a remplacé par des lits pour chaque malade ces lits communs où le malade destiné à guérir était quelquefois glacé par le contact d’un mort ; l’humanité n’apparaît pas tout d’abord aux sociétés comme certains principes parfaits, que reconnaissent toutes les consciences, et qui ont brillé, dès le premier jour, de toute leur lumière. Quand Mme de Sévigné se raille des paysans que fait pendre l’intendant de Bretagne, est-ce à dire qu’elle manque de cœur, et que la même femme, vivant de nos jours, fût insensible à un acte de barbarie judiciaire ? Nullement ; mais l’idée de l’humanité telle qu’elle nous apparaît, rendant la justice clémente pour ceux qu’elle punit, la charité honorable pour ceux qu’elle assiste, n’était pas sortie encore des travaux de tant de penseurs, et la souffrance elle-même n’avait pas appris à se défendre. Nous sommes plus tendres que nos pères aux misères humaines, sans y avoir plus de mérite qu’ils n’ont eu de fort dans leur cruauté relative, et peut-être paraîtrons-nous cruels à notre tour, à moins que l’esprit de violence et de ruine qui souffle en ces tristes jours ne fasse reculer les sociétés jusqu’aux époques où la grossièreté dans les mœurs autorisait la cruauté dans les lois.

Parmi les grandes maisons patriciennes de l’Angleterre, il en est de plus anciennes que celle dont le duc de Portland est le chef ; il n’en est pas une dont l’origine soit plus noble. Le dévouement qui va jusqu’au sacrifice de la vie, la fidélité dans toutes les fortunes, l’affection sans la flatterie dans une amitié avec un grand prince, telles sont les qualités que M. Macaulay nous fait admirer dans le fondateur de la maison de Bentinck[1]. Bentinck fut le meilleur et le plus aimé des amis de Guillaume III. On le vit, pendant seize jours et seize nuits, au chevet du jeune prince d’Orange attaqué de la petite vérole, toujours debout, toujours à la main du malade, et, quoique déjà sous le coup de l’assoupissement précurseur du mal, se raidissant contre la fièvre, jusqu’à ce que les médecins eussent déclaré son maître convalescent. « Bentinck a-t-il dormi tandis que j’étais malade ? disait Guillaume à Temple ; je l’ignore ; ce que je sais, c’est qu’il ne m’est arrivé de rien demander sans qu’à l’instant Bentinck ne fût à mes côtés. » Bentinck fut lui-même dans le plus grand danger ; mais, à peine rétabli, il rejoignit l’armée, où, dans tous les périls de plus d’une rude campagne, Guillaume le trouva toujours le plus près de lui.

J’admirerais moins Bentinck, si l’amitié n’eût été que de son côté : il

  1. History of England, from the accession of James II, volume II.