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pas ? Le moment était venu de prendre vigoureusement l’offensive et d’écraser son rival ; il hésita et perdit la bataille.

C’est aujourd’hui une opinion partout acceptée qu’on avait espéré mieux des talens et de la capacité militaire du général Chrzanowski. Aussi le soldat piémontais n’a-t-il point manqué de rejeter sur ses chefs la responsabilité de la journée ; convaincu au fond de l’ame d’avoir fait bravement son devoir, il dit encore que, si les choses ont tourné de la sorte à Novare, la faute en est aux officiers qui le commandaient, car, quant à lui, il a fait tout ce qu’il fallait pour tailler les Autrichiens en pièces. L’état-major en effet, c’était là le côté critique de cette armée dont la bravoure n’a pas cessé de se montrer jusqu’à la fin. Croira-t-on que pas un officier piémontais n’avait songé à prendre avec lui la carte de la Lombardie ? On dirait qu’après avoir épuisé la coupe des déceptions, Charles-Albert s’en remit au seul hasard du soin de faire triompher une cause romanesque à laquelle désormais il ne croyait plus. Lorsque ses illusions eurent cessé de le conduire, le découragement le prit, et, sauf les heures de combat où, plus valeureusement que pas un, il payait de sa personne, offrant en désespéré sa poitrine aux balles autrichiennes, peu à peu il se désintéressa de tout ce qui s’agitait autour de lui. Lorsqu’on entra dans la chambre qu’il avait occupée pendant la nuit qui précéda la journée de Novare, on trouva auprès du lit une table, et sur cette table, à côté de la bougie à moitié brûlée, un Voyage en Chine, dernière lecture de ce roi qui le lendemain livrait bataille. Et pourtant à cette veillée des armes succéda dans l’action la conduite d’un héros ; partout où sifflait la mitraille, au plus fort des périls et du feu, il était cherchant la mort, et, s’il ne la put rencontrer, du moins dans ce Waterloo de l’Italie trouva-t-il l’occasion d’abdiquer. À défaut du poids de l’existence, il secouait le fardeau d’une couronne ; c’était toujours s’alléger d’autant. Cette fin de Charles-Albert, par sa misère et sa grandeur, touche à ce que l’imagination des poètes a jamais créé de plus solennel et de plus émouvant. Au milieu d’une nuit pluvieuse et sombre, une berline de voyage est amenée au général de Thurn par les hussards des avant-postes ; un homme grand et maigre, le visage couvert d’une pâleur de spectre, en descend. « Je suis le comte de Barge, colonel piémontais ; l’armée où je servais ce matin encore est en pleine dissolution, et je désire me rendre à Nice. — Passez, sire, et que Dieu vous garde ! » Et l’équipage repart au galop, emmenant ce roi qui s’en va mourir loin de sa patrie, sur le sol où naquit jadis dom Sébastien, cet autre aventurier couronné, ce Charles-Albert du moyen-âge portugais. Je ne sais, mais il me semble que Shakspeare lui-même n’inventerait pas mieux.

Comme pendant à cette scène de désolation, l’histoire, qui ne se lasse pas de multiplier les enseignemens et les drames, semble avoir