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dans le geste et jusque dans sa parole, où se rencontre cette expression particulière au dialecte autrichien : c’était le vainqueur de Somma-Campagna et de Novare, le feld-maréchal Radetzky en personne. Quiconque eût rêvé une de ces individualités chères aux poètes, chez lesquelles la puissance d’un physique surhumain semble rehausser encore l’éclat d’un glorieux prestige, se fût trouvé étrangement désappointé. Rien d’imposant ni de solennel dans cette figure, à laquelle, hâtons-nous de le dire, l’absence d’un certain idéal de convention n’ôte rien toutefois de l’intérêt historique qui l’entoure. Seulement il faut en prendre bravement son parti et laisser là les hommes de Plutarque pour l’heureux caporal, pour le père Radetzky, Vater Radetzky, s’il nous est permis d’adopter ici le nom que ses soldats lui donnent en campagne.

Le maréchal vint à nous en nous tendant les deux mains, et nous introduisit dans son cabinet le plus affectueusement du monde. Instruits de l’habitude qu’il a de se tenir presque toujours debout, nous persistions à ne pas nous asseoir malgré son invitation ; ce que voyant, il s’assit lui-même sur un vieux fauteuil jaune, qu’il occupa aussi long-temps que la pétulance de son humeur le lui permit, c’est-à-dire environ cinq minutes, car, à peine la conversation fut-elle engagée, que, s’animant peu à peu, il se leva, et, gesticulant d’une main tandis que l’autre se cachait dans son gilet d’uniforme ouvert par le haut, se mit à mesurer la salle du pas d’un homme de cinquante ans très gaillard et très vert : c’est en effet le chiffre qu’on lui donne au premier moment ; plus tard seulement on remarque sur ses traits l’empreinte de son grand âge, que la vivacité de l’œil, l’activité du mouvement, la sonorité de l’organe, empêchent d’apercevoir d’abord. Doué d’une certaine corpulence qui, sans être exagérée, n’en a pas moins le grave défaut de diminuer encore le volume de sa tête, très petite d’ailleurs, le maréchal manque un peu dans sa personne de cette distinction aristocratique que plusieurs des chefs de l’armée autrichienne, le prince Windischgraetz par exemple, possèdent au suprême degré. Peut-être aussi doit-il à cette bonne mine, à cette physionomie excellente et paterne, la popularité immense dont il jouit auprès du soldat.

Il y a certaines conditions physiques indispensables pour se concilier la sympathie des masses ; bien des gens, quoi qu’ils fassent, n’y parviendront jamais, uniquement à cause de ces qualités d’élégance innée et de distinction personnelle, lesquelles, pour la plupart du temps, élèvent un mur de glace infranchissable entre celui qui en dispose et la foule. Otez à Radetzky sa façon militaire, cette rondeur de bon vivant, ce regard malin et narquois, ce visage rougeaud qui ne demande pas mieux que de se dérider dans l’occasion, et toutes ces anecdotes qu’on raconte de lui deviennent impossibles, c’en est fait