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lorsqu’il fallut s’éloigner et redescendre à la ville, chacun de nous se prit à soupirer : Pourquoi ne point vivre ici ? Qui eût soupçonné à cette heure que ces aimables lieux, si remplis de calme et de bienheureuse solitude, avaient été, moins de deux ans plus tôt, le théâtre d’une des plus sanglantes rencontres entre les Autrichiens et les Piémontais ? La journée de Vicence, en permettant aux impériaux de rentrer au cœur de la Vénétie ; eut pour les armes piémontaises de désastreuses conséquences ; et personne dans leur camp ne se méprit sur la portée de cet irréparable échec.

Le lendemain, à dix heures, nous étions à Vérone. Assise au pied des Alpes tyroliennes, coupée par les courbes serpentines de l’Adige en deux parties inégales communiquant entre elles par trois ponts, ornée à chaque pas de superbes monumens de l’époque de Palladio, d’élégans hôtels ayant vue sur le fleuve, de riches églises et de jolies maisons originalement peinturlurées de fresques extérieures, étalant avec pompe ses palais caducs et ses arcs-de-triomphe romains, ses tours démantelées et ses arènes croulantes, Vérone répond sur-le-champ à tout ce qu’on était en droit d’attendre d’elle. L’antique Rome des Césars et le moyen-âge des Scaliger, rien n’y manque. Lorsqu’on la contemple des hauteurs de Palazzuolo, le souvenir de l’histoire et de la poésie du passé, l’enchantement du paysage, effacent au premier abord le point stratégique si renommé de la vallée de l’Adige. Ce n’est que plus tard, quand les illusions d’un monde évanoui peu à peu commencent à. se dissiper, que l’on pense presque à regret à la place forte, siège actuel de la vice-royauté militaire du maréchal Radetzky.

Vérone renferme près de cinquante mille habitans, et personne n’ignore qu’elle est considérée par sa position comme un des points stratégiques les plus importans de l’Europe. Les anciens murs d’enceinte, dont il reste quelques vestiges, furent l’œuvre des Scaliger. En 1525, San-Micheli, ingénieur célèbre, y fit exécuter de nouvelles fortifications, les premières qu’on ait construites d’après le système bastionné. Depuis 1814, les Autrichiens ont constamment travaillé à rendre cette place formidable par ses moyens de résistance. Des tours dites maximiliennes protègent la partie supérieure de la ville, dont le bas est défendu par des ouvrages de fortification appelés bastions à la Carnot, dans lesquels sont pratiquées de nombreuses ouvertures par où peuvent sortir sans encombrement les colonnes d’infanterie ou de cavalerie, pour repousser l’effort des assiégeans ; partout, dans les campagnes environnantes, s’élèvent des retranchemens destinés à fermer à l’ennemi les abords de la place.

Venus à Vérone sur l’invitation du comte Radetzky, notre première visite devait être naturellement pour le maréchal. Des Deux Tours, où nous étions descendus, au palais du gouvernement, il n’y a que deux