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fresque de S. Onofrio. Ces points admis, peu nous importe qu’on nous découvre le nom qu’on voudra : nous n’aurons rien à rectifier de tout ce qu’on vient de lire ; seulement nous saurons qu’il a existé un membre de plus dans l’immortelle famille des hommes de génie, et qu’au lieu d’un Raphaël la nature en avait produit deux.

Dans peu d’années, nous l’espérons, il ne sera plus nécessaire d’aller jusqu’à Florence pour contempler cette grande œuvre ; M. Jesi en aura donné la plus exacte image, et chacun pourra chez soi s’en faire une juste idée. On verra quel trésor nous cachait ce vieux couvent, devenu pour la peinture moderne un véritable Herculanum. Quand la gravure s’en sera répandue en Europe, quand la Cène de S. Onofrio sera devenue populaire, il y aura plaisir à la mettre en regard de toutes les autres cènes que nous ont laissées les grands maîtres, depuis Giotto et Dominique Ghirlandaïo jusqu’à Andrea del Sarto et Poussin. Aujourd’hui cette comparaison serait prématurée : un des termes n’étant connu que de quelques personnes, on aurait peine à se faire comprendre ; on ne parlerait, pour ainsi dire, que pour soi. Attendons la gravure. Ce sera surtout avec la plus célèbre de toutes ces saintes cènes, avec celle de Léonard, qu’un parallèle approfondi pourra devenir d’un sérieux intérêt. Dans l’examen comparé de ces deux œuvres, il y a tout un enseignement. Ce sont deux faces de l’art, deux méthodes mises en présence et sous leur aspect le plus accentué. Quant aux deux hommes, nous ne pensons pas qu’il y eût justice à les comparer sur ce terrain. La Cène de Milan, méditée pendant tant d’années, exécutée avec tant de soins et de labeur, c’est le dernier mot de Léonard ; la Cène de Florence, c’est le début de Raphaël, c’est moins un tableau qu’une étude.

Selon toute apparence, il se sera mis à ce travail peu de temps après son arrivée, lorsque les commandes ne lui venaient pas encore en foule ; il aura cherché l’occasion de faire un sérieux essai de ses forces, de se recueillir, de se préparer silencieusement aux grands travaux qu’il méditait, sans se préoccuper du public, et acceptant sans trop de peine que son essai fût destiné à ne pas voir le jour. Ce qui confirme cette conjecture, c’est qu’on peut indiquer avec grande vraisemblance comment ce travail a dû lui être confié. Les archives du couvent de Fuligno, nous l’avons déjà dit, n’ont pas été détruites, et contiennent, par ordre chronologique, les noms de toutes les abbesses qui ont régi la communauté. Or, on voit, vers l’an 1504, une Soderini faire place à une Doni. Si la parente du gonfalonier eût continué de vivre et de gouverner la maison, il est probable que Raphaël n’eût jamais peint ce réfectoire ; mais Agnolo Doni, Agnolo le millionnaire, qui, comme le dit Vasari, aimait à protéger les arts sans fouiller à sa bourse, aura trouvé commode, l’abbesse de Fuligno étant de sa famille, de lui faire commander une fresque à son jeune protégé. L’abbesse n’aura consenti