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ce chemin, il n’en devait plus sortir. Il s’y maintint, il est vrai, avec toute sa force, toute sa retenue, sans jamais être entraîné plus loin qu’il ne voulait, sans jamais abandonner l’usage de ses qualités propres, des dons innés de sa nature, et compensant, s’il est possible, les inconvéniens de cette sorte d’éclectisme par la merveilleuse universalité de son génie. C’est ainsi que se passèrent ses dix dernières années, et ce fut certes encore un admirable spectacle ; mais un progrès, quoi qu’en puissent dire certains esprits, nous ne l’admettons pas.

Il peut convenir à Vasari de nous le montrer grandissant à mesure qu’il s’éloigne des traces de son maître, s’élevant de jour en jour et peu à peu jusqu’à l’intelligence du grand goût florentin, et parvenant enfin à élargir son style après qu’on lui a indiscrètement fait voir, comme à travers le trou d’une serrure, quelques figures de Michel-Ange. Tissu d’erreurs ou de mensonges que tout cela. Ce n’est pas après deux ans de séjour à Rome que Raphaël a reçu la révélation de Michel-Ange : ne l’avait-il pas vu d’assez près à Florence ? n’avait-il pas vécu à ses côtés, en face de ses œuvres ? N’avait-il pas vu, revu et étudié la plus célèbre de toutes, le carton du Palazzo Vecchio ? S’il eût voulu dès-lors faire au système de ce puissant génie le plus léger emprunt, qui pouvait l’en empêcher ? Il en avait le savoir, et sa main s’y fut façonnée aussitôt ; mais ç’eût été une abjuration, une désertion dont il n’aurait pu alors supporter la pensée.

Aussi la plus belle phase de sa vie sera toujours, pour nous, le temps écoulé à Florence et les premiers momens passés à Rome, parce qu’au milieu de séductions déjà bien entraînantes, et malgré les tendances si variées de son esprit, il fut, durant cette période, résolûment fidèle à sa règle et à son but, parce que, après avoir apprécié la méthode de ses émules, il persista volontairement dans la sienne, obéissant à sa vocation plutôt qu’à la mode, et s’obstinant à faire ce que Dieu avait voulu qu’il fît mieux qu’aucun homme en ce monde.

Que n’a-t-il persévéré ? Mais franchement ce n’était pas possible. Non, pour rester jusqu’au bout dans cette voie de pureté et de candeur, il eût fallu qu’il renonçât au siècle, qu’il se fît moine comme son ami Baccio, comme son aïeul en génie fra Angelico ; mais au milieu du monde vivant à une cour, favori d’un Jules II, d’un Léon X, toute résistance était vaine ; il fallait qu’il succombât, qu’il se pliât au goût du siècle, qu’il s’en fit comprendre et admirer, qu’il se mît au niveau de ses applaudissemens.

Nous ne sommes donc pas de ceux qui frappent sans pitié d’anathème ces dix dernières années ; encore moins voulons-nous les exalter, les mettre au-dessus des autres, prétendre que cette vie d’artiste n’a été qu’une marche toujours ascendante, un progrès incessant sans solution de continuité, sans changement de foi ni de doctrine. Les preuves sont