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conseils du cénobite, que, pendant ces quatre années, il ne mit presque jamais les pieds dans le jardin des Médicis, où tant d’autres venaient, un crayon à la main, s’inspirer devant les statues antiques dont il était peuplé ; telle fut sa constante soumission aux prescriptions de son école, que, parmi plus de soixante ouvrages produits par lui depuis son arrivée à Florence jusqu’à son départ pour Rome, on n’en peut citer qu’un seul, à peine grand comme la main, dont le sujet ne soit pas chrétien, et encore où en avait-il pris l’idée ? Dans une cathédrale, devant ce groupe antique des trois graces qui décore la sainte librairie de Sienne.

Une fois à Rome, il sembla résolu à continuer sa vaillante gageure, et c’est l’esprit encore tout plein de ses convictions florentines, qu’il entreprit et conduisit à fin ce grand drame théologique, ce magnifique dialogue entre le ciel et la terre qu’on appelle la Dispute du Saint-Sacrement. Jamais les traditions ombriennes ne s’étaient montrées au monde sous un plus splendide aspect ; c’était le comble de l’art : la vie intérieure, la vie de l’ame, coulait à pleins bords d’un bout à l’autre du tableau, sans troubler le calme et la simplicité d’une composition majestueusement symétrique. Pour indiquer hautement combien il restait fidèle à ses croyances et à ses amitiés, pour lancer un défi bien clair à ses illustres rivaux, le peintre avait pris soin d’introduire dans son tableau non-seulement le Pérugin, son maître, mais ce Savonarola qui venait d’être brûlé vif à Florence. Comment passa-t-il brusquement de cette page sublime, qui résumait et complétait l’œuvre de toute sa vie, à un autre chef-d’œuvre non moins inimitable, mais conçu dans un esprit et pour un but tout différens ? Il avait changé d’atmosphère ; il se trouvait aux prises avec des séductions toutes nouvelles, une, entre autres, qu’il ne connaissait pas : la faveur. Quand un pape vous dit : Faites-moi des dieux, des muses, des Athéniens, des philosophes, il est assez difficile de lui répondre : Je ne fais que des vierges, et vous êtes un païen. Il fallait donc, bon gré mal gré, qu’il désobéît à son école, ne fût-ce que pour le choix des sujets. Ce premier pas franchi, comment n’en pas faire un autre ? comment se refuser le plaisir, si long-temps différé, de vaincre ses adversaires sur leur propre terrain, de dire à tous ces prôneurs du style savant et pittoresque : Il vous faut des combinaisons, des calculs, des lignes accidentées ; vous voulez que la vie, l’expression, ne soient plus concentrées seulement sur la figure de l’homme, mais répandues sur tout son corps ; vous voulez que le système musculaire joue, comme l’ame, un premier rôle ; vous appelez l’intérêt sur la surface des choses, et vous glorifiez la matière aux dépens de l’esprit : eh bien ! je m’en vais vous montrer que je connais tous ces secrets, et que j’y suis passé maître !

Il aura cru ne s’engager à rien, faire un essai ; mais, une fois dans