Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/612

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant qu’il fut dans la force de l’âge, c’est-à-dire jusqu’à la fin du siècle environ, vit grandir et s’étendre son influence, non-seulement autour de lui, mais dans presque toute l’Italie, à Bologne surtout, où dominait Francia, son glorieux auxiliaire. Le moment approchait pourtant où ses forces allaient faiblir ; il ne s’en rendit pas compte et commit la faute de retourner à Florence. Ses adversaires, pendant qu’il vieillissait, avaient reçu de puissans renforts : ils comptaient dans leurs rangs cet impétueux génie, cet irrésistible champion des idées nouvelles, Michel-Ange. Le jeune homme fut impitoyable, et le vieillard assez malavisé pour se plaindre en justice. Les tribunaux ne pouvaient lui rendre ni ses succès ni sa jeunesse ; ils ne vengèrent même pas son injure. Courageux jusqu’au bout, cet échec ne lui fit point quitter Florence ; mais il essaya vainement d’y rétablir sa fortune et celle de son école. De dédaigneux sourires, d’injurieux sonnets accueillaient ses incessantes tentatives, et chaque jour voyait s’éclaircir les rangs de ses anciens admirateurs. C’en était fait de cette noble cause, si quelque main providentielle ne venait la soutenir.

Heureusement, peu d’années auparavant, un habitant d’Urbin, fervent disciple de l’école ombrienne et peintre de talent, quoi qu’on en ait pu dire, avait cru reconnaître chez son fils, encore enfant, les signes manifestes du génie. Il l’avait conduit à Pérouse, dans l’atelier de son ami, de son chef, Pierre Vanucci, et l’enfant, déjà formé aux leçons paternelles, s’était approprié sur-le-champ le savoir et le style de son nouveau maître. Bientôt on ne distingua plus leurs œuvres, si ce n’est que, dans les tableaux de l’élève, se révélait déjà plus de pensée et une certaine aspiration à des types plus parfaits.

Lorsque, vers l’an 1500, le maître entreprit son malencontreux voyage à Florence, ce fut à ce jeune Sanzio, à peine âgé de dix-sept ans, qu’il confia la direction et l’achèvement de tous les travaux dont il était chargé, notamment à Citta di Castello. Qui eût osé, parmi ses disciples, s’élever contre ce choix ? Les jalousies d’atelier se taisent devant de telles supériorités. Pinturrichio lui-même, de tous le plus habile, n’eut pas plus tôt reçu la mission de décorer la bibliothèque de la cathédrale de Sienne, que bien vite il appela Raphaël à son aide. L’école entière s’inclinait devant ce maître imberbe, et ce n’était pas seulement le Pérugin et sa famille d’artistes ombriens qui l’entouraient de leurs sympathiques espérances ; la même sollicitude, dégagée de tout sentiment d’envie, se manifestait dans le reste de l’Italie chez tous les peintres demeurés fidèles aux traditions de fra Angelico. En apprenant à Venise l’apparition de cet astre naissant, les Bellini témoignaient la joie la plus sincère, et le vieux Francia écrivait de Bologne une touchante lettre où il demande au jeune artiste son amitié et son portrait.