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Dit-il la moindre chose, par exemple, de la Madonna della Seggiola ? parle-t-il de la Madonna del Gran Duca ? Et personne a-t-il jamais argumenté de son silence contre la légitimité de ces deux merveilles ? Vasari est un guide excellent et presque toujours sûr ; sans lui, cette longue histoire de la peinture italienne ne serait que ténèbres, car tous ceux qui sont venus à sa suite semblent n’avoir rien vu par eux-mêmes et ne jurent que sur sa parole ; mais, à l’époque où Vasari prit la plume, près de trente ans s’étaient écoulés depuis la mort de Sanzio. Il écrivait de souvenir, d’après des notes incomplètes : de là bien des erreurs et d’inévitables oublis. Non-seulement il passe sous silence des tableaux du premier ordre, mais il affirme quelquefois, à propos de ceux dont il parle, des circonstances matériellement inexactes. Ainsi la Sainte Famille du palais Rinuccini, qui, par son style, appartient évidemment aux dernières années du maître, serait, au dire de Vasari, antérieure à 1508. Or, en nettoyant ce tableau il y a soixante ou quatre-vingts ans, on a découvert sa véritable date, la date conforme à son style, c’est-à-dire 1516. Pour constater d’autres erreurs encore plus étranges, il ne faut qu’entrer au Vatican, notamment dans la salle della Segnatura. N’est-on pas tenté de croire, à la manière dont Vasari décrit les fresques qui la décorent, que jamais il ne les a vues ? D’abord il confond à tout propos la Dispute du Saint-Sacrement avec l’École d’Athènes, nous montre Platon assis au milieu des anges, et, ce qui est plus grave, ce qui bouleverserait toute chronologie de l’art, suppose que, de ces deux fresques, c’est l’École d’Athènes qui a été exécutée la première.

Il faut donc n’attacher un respect superstitieux ni aux paroles ni au silence de Vasari. Un tableau peut être de Raphaël sans que l’auteur de la Vie des Peintres en ait fait mention. Parmi tant de madones et de saintes familles, diversifiées sans doute par le génie, mais au fond toutes semblables, comment le plus scrupuleux biographe n’en eût-il pas oublié quelques-unes ?

Dira-t-on que des tableaux peints sur toile ou sur bois, des tableaux qui changent de place, qui passent de main en main, souvent même de ville en ville, ont pu lui échapper, mais qu’il n’en est point ainsi des fresques ? que si parfois il se méprend à les décrire, jamais on ne le surprend à les oublier ? que le moindre pan de mur où Raphaël a porté la main nous est signalé par lui avec un soin religieux ? que dès-lors on ne saurait comprendre comment il eût passé sous silence cette œuvre capitale, exécutée dans sa propre patrie, et qui ne pouvait pas plus s’effacer de son souvenir que se détacher de l’édifice où elle était fixée ?

Nous en tombons d’accord : il n’est pas une fresque de Raphaël que Vasari ait vue sans s’être fait un devoir d’en dire au moins quelques