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exagération de notre orgueil patriotique, tandis que nous la voyons remplacée par les beaux penchans humanitaires des gamins qui sifflent en plein théâtre l’uniforme français, John Bull n’a presque rien perdu de sa furieuse méfiance contre l’évêque qui siège à Rome, et s’indigne avec la même ardeur de ses prétendues usurpations.

La presse anglaise n’a été sur ce chapitre que l’écho d’un esprit véritablement populaire, et, si cet esprit ne règne point sans partage dans la chambre des communes, il pourrait bien trouver un concours assez importun pour le cabinet dans cette chambre des lords qui n’a point encore laissé échapper une occasion de maintenir la religion d’état, la vieille devise du torysme : Church and state. On conçoit sans doute qu’il y ait eu un moment de surprise désagréable pour ces fidèles anglicans, établis dans leur tradition avec la sécurité flegmatique de tout bon Anglais, lorsqu’ils ont vu « la lettre apostolique » du saint-père diviser le territoire de sa majesté en provinces ecclésiastiques, comme s’il pouvait exister sur ce territoire une autre religion légale que celle dont sa majesté la reine, à la fois reine et papesse, est encore aujourd’hui le chef visible. Il y a quelques années, le docteur John Mac-Hale, l’un des quatre archevêques d’Irlande, osa le premier joindre à son nom celui du siége où il résidait, et signer au bas de ses mandemens épiscopaux John of Tuam, sans souci du pauvre prélat anglican qui logeait dans la même ville et prenait déjà, de par la loi, le même titre. Ce fut un grand scandale qui n’aboutit à rien, une grande rumeur, maintenant oubliée, qui n’a point empêché qu’il y ait porte à porte dans cette indigente cité de Tuam deux évêques également décorés de son nom, et monseigneur Mac-Hale, tout en étant un voisin peu commode, n’en prétend pas davantage toucher aux dîmes de son collègue anglican.

Les treize nouveaux évêques catholiques d’Angleterre, l’archevêque de Westminster et ses douze suffragans, ont une position encore bien moins offensive, puisque leurs titres ne sont pas ceux des sièges occupés par les prélats anglicans ; seulement ce ne seront pas non plus désormais des titres in partibus infidelium ; mais le pape n’a pas même violé cette antique loi que le docteur Mac-Hale avait foulée aux pieds en s’appropriant le nom d’un siége de l’anglicanisme. Il y a mieux : la constitution de ces évêchés dégage au contraire les catholiques anglais de la juridiction immédiate du pontife romain, et rend à leur église plus d’indépendance nationale qu’elle n’en avait eu depuis le schisme. C’est un côté de la situation qu’on n’a point assez envisagé, et qui est excellemment traité dans un mémoire explicatif du docteur Ullathorne, évêque catholique de Birmingham, l’un des négociateurs qui ont doté l’Angleterre de ce nouvel établissement. Jusqu’ici en effet, l’Angleterre n’ayant été administrée que par des vicaires apostoliques, ses affaires religieuses étaient bien réellement dans les mains mêmes du pape, qui les conduisait par l’intermédiaire de ces simples agens, totalement dénués de l’indépendance originelle attachée au caractère épiscopal. Les prélats maintenant institués auront évidemment une autorité plus nationale.

Nous souhaiterions que la politique du saint-siège eût été partout aussi justifiable. Nous ne pouvons nous empêcher de regretter la rupture des négociations que le chevalier Pinelli avait été chargé de suivre à Rome pour le gouvernement sarde. Nous craignons que cette raideur de conduite n’ait envenimé